Sur la question éternelle et inépuisable de ce qu’'est l’amour, l'’homme de théâtre et de cinéma Patrice Chéreau s’'est depuis longtemps penché. La vision globale qu’'il en a se déploie dans le pessimisme et la croyance en l'’impossibilité de sentiments durables. C’'est pourquoi toute son œœuvre est-elle traversée de rapports violents et absolus, où les déchirements et les cris, les ruptures et même les coups rythment des narrations sèches et abruptes. En ce sens, Persécution se situe dans la droite ligne des précédents longs-métrages du réalisateur de Son frère (2003).

Nous faisons connaissance avec Daniel dès la première scène : assis dans une rame de métro, il assiste à l’'agression gratuite d’une mendiante envers une passagère recevant une magistrale paire de gifles. Accostant la femme molestée, il lui tient un curieux discours à la fois sympathique (savoir comment elle va) et moralisateur (si elle a été frappée, ce n’'est pas complètement du fait du hasard). Toute l’'ambivalence du personnage réside dans cette intervention initiale. Travaillant à la réfection d’'appartements, Daniel porte un « regard mauvais » sur ceux qui l’'entourent, détaché et donneur de leçons, aussi bien envers Michel, un ami dépressif et paumé, que dirigées vers Sonia, une petite amie épisodique. L’'intrusion d’'un vagabond désaxé, qui prétend l’'aimer, dans son univers renverse les rôles : celui qui persécute les autres (de ses propos et états d’'âme) devient à son tour persécuté.

Les contradictions de Daniel, personnage attendrissant comme exaspérant, incapable d'’accorder sa confiance parce qu'’il a de lui-même une image négative, rejaillissent sur Persécution, film irritant et parfois outrancier, se bonifiant dans son dernier tiers lorsque toutes les afféteries de mise en scène sont enfin abandonnées. Jusque là, Patrice Chéreau agace par une caméra extrêmement mobile, un filmage au plus près des visages et surtout le choix d'’une esthétique sans personnalité, devenue la norme d'’un cinéma internationalisé, qui passe obligatoirement par une série de figures imposées et convenues : lumière glauque sur la ville, ambiance faussement amicale des bars, impression d’'urgence renforcée par le montage saccadé et énergique. Tout ceci peine à retenir l'’attention parce que Daniel (interprété par Romain Duris qui recycle son rôle dans De battre mon cœur s’est arrêté) suscite plus d’'ennui et d’'inintérêt qu’'une véritable compassion.

Lorsque Persécution se concentre sur les mises au point entre Daniel et Sonia (Charlotte Gainsbourg émouvante dans sa dignité bafouée), il déclenche plus d’'adhésion et réserve ainsi ses plus belles scènes : dans un parking souterrain, lors d’'une conversation téléphonique (ah, le pouvoir évocateur de la voix) ou pendant la confession de Daniel à son persécuteur et ange gardien, enfin captée dans la sérénité (approche lente et respectueuse de la caméra vers des personnages de dos). Renvoyer chacun à sa solitude et son échec et conclure à l’'impossibilité de l'’amour absolu (le réalisateur n’'est pas homme de compromissions et de demi-teintes) séduisent beaucoup, même si rien de nouveau est ici apporté au sujet. Circonspects sur sa forme inutilement tapageuse et trop rarement mise en défaut dans des moments de pure grâce, nous sommes à peu près certains que Persécution peut laisser des traces dans la mémoire du spectateur en continuant à le hanter et, pour le moins, provoquer des discussions enflammées.
PatrickBraganti
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le 16 nov. 2012

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