Il y a dans la vie deux types de films qui font gamberger. Ceux qui font gamberger sur un sujet aléatoire, et des films qui font gamberger sur un sujet qui vous occupait déjà l'esprit avant de voir le film. Persona a fait pour moi partie de la seconde catégorie.
Après un court passage assez incompréhensible et métaphysique au début, l'on se retrouve face à une histoire d'une actrice ayant décidé de ne plus parler et de son infirmière soignante. En posant cela, plusieurs choses vont se dégager de cette relation.
Le premier aspect de cette relation qui se dégage est avant tout psychanalytique. L'on assiste grâce au mutisme et donc grâce à une certaine neutralité de ce côté de la relation, à l'importance que prends la projection dans une relation, importance poussée ici à son paroxysme. L'infirmière va projeter ses pensées, ses jugements, ses opinions, et une certaine personnalité sur l'actrice (Elizabet), jusqu'à prendre une dimension presque transférentielle. L'idée étant que nous ne voyons les autres que via le prisme de notre perception d'un côté, et que par conséquent nous ne sommes pas maîtres de la façon dont les autres nous perçoivent.
Mais cela amène à un autre sujet tout autant psychanalytique, celui de la persona de Jung (obviously). La persona, c'est le rôle que l'individu se crée lorsqu'il interagit avec la société, le masque qu'il porte, qu'il définit et qui finalement le défini aux yeux des autres. Il y a cette réflexion dans le film en partie via les dialogues où il est question de son propre rôle que l'on se crée et qui finit par nous absorber. Elizabet, par son mutisme, tente de se détacher de cette persona afin de retrouver son Moi qui y était trop fusionné. Il y a d'ailleurs cette métaphore avec le fait qu'elle soit actrice, l'on suppose qu'au moment critique où elle a décidé de parler, elle a fait un parallèle entre son changement permanent de rôle pour son métier et le rôle qu'elle tient socialement. Lequel est le plus faux ?
Alma d'un autre côté est en conflit avec ses propres pulsions et son inconscient. Les deux personnages sont très contrastés et opposés, car là où l'une désire ce que l'autre a, l'autre désire ce que l'une a pu faire (pas évident de pas trop spoil en étant clair...). Mais là où les deux se retrouvent, c'est sur leur misère affective. Alma a besoin inconsciemment d'une confidente et d'une personne pour la juger, Elizabet a besoin de reconnaissance lorsqu'elle incarne son moi et non pas sa persona dans une sorte de narcissisme mais ce qui ne rend pas le personnage moins fascinant. D'ailleurs l'on voit aussi l'angoisse et la panique chez Alma face à ce mutisme qui donne de la puissance dans la relation à Elizabet, et je n'ai pu m'empêcher de penser aux expériences de psychologie développementales pendant lesquelles une mère commence à jouer avec son enfant puis subitement arbore une « Still Face » et ignore son enfant, créant l'angoisse et la panique chez l'enfant qui va alors avoir des réaction émotionnelles fortes telles que des cris, des pleurs, des vomissements... Cela amène à la réflexion que toute relation est en partie une distribution de pouvoir, à un niveau plus ou moins conscient et plus ou moins équilibré.
Un autre thème abordé est la prise conscience que l'horreur du cauchemar n'est plus séparé de la réalité, sujet qui avait commencé à émerger après la première guerre mondiale mais qui n'a été que plus important après la médiatisation post-seconde guerre mondiale. Mais contrairement à ce que l'on peut trouver dans la cinématographie actuelle, cela n'est pas abordé avec la lourdeur ou quasi-obscénité, mais avec une certaine contemplation et intimité qui rendent cela bien plus fort. Ce sujet n'est que peu abordé, mais n'arrive cependant jamais mal ou au mauvais moment, ce qui pardonne un peu le sentiment de « qu'est-ce que ça fait là ? ».
En bref, ce film est doté d'une très belle image et photographie, les plans sont techniquement très biens composés, et le jeu des actrices est d'une finesse assez forte. D'autres sujets sont abordés au cours du film, comme une réflexion sur l'art et sur la place du cinéma, ce qui en fait un art, ou bien sur certains problèmes de femmes qui sont assez évidents à repérer, mais cela ne m'a pas autant atteint que le reste cité plus haut. Cependant je pense que la pluralité de sujets faits que chacun peut avoir quelque chose à se mettre sous la dent, et à défaut d'admirer l'image et la réflexion de Bergman pour la construction de ce film.