C'est la première fois de ma vie que je vois un film en blanc et noir.
L'anecdote qui accompagne la genèse du film permet de mesurer le gouffre abyssal qui sépare un artiste et le péquin moyen, toi, moi, la voisine, l'analyste financier. Sur son lit d'hôpital, Ingmar voit une photo de Liv et Bibi, baignée d'une lumière qui l'émeut. L'envie de passer quelques jours sur une île perdue de la mer Baltique (Faro !) avec les deux jeunes femmes est parfaitement compréhensible. Parvenir à écrire en deux semaines un tel scénario pour arriver à ses fins tiendrait de la magie pour le péquin moyen, toi, moi, la voisine, l'analyste financier… Mais c'est Ingmar.
Un film est bouleversant quand on est incapable de saisir si c'est le fond ou la forme qui vous emporte l'âme. Quand ce qui demeure incompréhensible n'a pas d'importance immédiate: seule compte l'impression, le saisissement. Quand chaque plan chaque visage chaque paysage est une gifle esthétique, quand des thèmes aussi habituellement bafoués que sont le dédoublement, le transfert, l'attirance sexuelle, le rapport au monde sont transfigurés en sidération constante, on sait qu'on est en train d'assister à un film qui ne ressemble à AUCUN autre.
Je n'ai pas souvenir d'avoir vu une photographie aussi belle dans un autre film.
Liv et Bibi. Bibi et Liv. Tu m'étonnes que ce bougre d'Ingmar, grand amateur de femmes, ait intégré une image de bite en érection dans sa séquence de pré-générique.