Dissuasion

Mais quelle tristesse ! Quel gâchis !

Il va sans dire que je m’y attendais mais ma satanée curiosité et ma soudaine soif d’eau de rose, encouragées par un désœuvrement vespéral, m’ont fait perdre deux heures de mon existence. 

Je commencerai par justifier les deux points que j’octroie gracieusement à cet affligeante adaptation, avant de m'employer à cracher tout mon fiel sans retenue.

Primo : Jane Austen

Secundo : Costumes et photographie satisfaisants

Cela étant, battons le fer tant qu'il est chaud ! Bien évidemment, ayant jadis été une fervente Janéite (comprendre : inconditionnelle de Jane Austen), je pourrais être tentée par l'argument puriste de l'adaptation trop éloignée du roman. J'entends cependant juger ici le film en qualité de cinéphile, pour ce qu'il est, et non pas ce qu'il est censé représenter. I'll try my best !

Je ne commenterai donc pas ledit éloignement par rapport au livre (il faut dire que je me rappelais à peine l'histoire) mais plutôt certains partis pris artistiques de la réalisatrice Carrie Cracknell.

Premier malaise : la rupture du quatrième mur. Pourquoi ? Pour plus de proximité avec la protagoniste ? Pour être sûr que l'on comprenne ? Pour mieux voir les beaux yeux de l'actrice ? Le quatrième mur a été inventé pour immerger le spectateur et tenter de le bluffer en faisant de lui un voyeur. Briser celui-ci signifie briser l'immersion et dévoiler la supercherie. Certains réalisateurs en usent (souvent avec modération) pour susciter le rire, ou souligner la gravité. Ici, on en abuse. On est proprement assommé par les interruptions intempestives d'Anne Elliot qui cassent le rythme pour apporter des informations passablement utiles et le plus souvent redondantes.

De manière générale, redondant, explicite, voire même, pittoyablement évident et dénué de toute subtilité, semblent être les épithètes clef de ce malheureux produit marketing. Là où le cinéma d'outre-Manche peut s'enorgueillir de la faculté de tout dire sans rien dire, de maîtriser à la perfection l'art de l'équivoque, ce film pêche par sa grossièreté et se montre parfaitement indigne de la renommée britannique.

Etait-ce une erreur de choisir une américaine pour incarner Anne ? Je ne sais pas. Toujours est-il que Dakota Johnson peine à rendre son accent crédible et, malgré son joli teint de rose ainsi qu'un honnête jeu d'acteur, ne parvient pas à communiquer l'essence d'une jeune anglaise de la Regency. Et le Captain Wentworth... Oh dear ! Peut-on trouver air plus benêt ? Comme je découvre seulement Cosmo Jarvis, je lui laisse le bénéfice du doute mais globablement, il n'y a que Nikki Amuka-Bird (Lady Russell), Richard E. Grant (Sir Walter Elliot) et Edward Bluemel (Captain Harville) qui m'aient paru véritablement convaincants dans leur jeu.

Quoi qu'il en soit, avec une adaptation de scénario et des dialogues pareils, seul un miracle pouvait sauver les meubles ! On l'attend toujours.

Toutes ces velleités de modernisation n'ont pour effet que d'édulcorer sauvagement un chef-d'oeuvre en lui ôtant toute substance véritablement édifiante, et de bafouer la dignité d'honnêtes spectateurs en les prenant pour de sombres imbéciles.

Au lieu de faire découvrir à la GenZ, biberonnée aux cartoons moches et à la téléréalité malsaine, la beauté et l'actualité qu'a encore Austen au XXIe siècle, on continue à niveler par le bas. C'est pathétique et tragique.