Les histoires d’Amir finissent mal, en général

François Ozon, dont on sait la passion pour le cinéaste allemand, s’était déjà frotté à Fassbinder en adaptant, en 1999, sa pièce de théâtre Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Il réinterprète cette fois Les larmes amères de Petra von Kant (la pièce originale et le film) en y substituant, pour l’occasion, la mode au cinéma, le féminin au masculin, Brême à Cologne. Mais l’essentiel est toujours là. Là dans cette histoire de coup de foudre, de domination et de tourments passionnels que Fassbinder écrivit en s’inspirant de son histoire d’amour, exaltée et orageuse, avec l’acteur Günther Kaufmann. À la fois portrait de Fassbinder et autoportrait en creux d’Ozon, réflexion sur la création artistique, sur le cinéma et les relations muse/pygmalion, Peter von Kant ausculte surtout la puissance de déflagration du rapport amoureux dans l’intime et le social.

D’ailleurs il n’est pas vraiment (jamais ?) question d’amour ici, mais de ses nombreuses «dérives», de ses divers «excès», et on parlera plutôt de possession, de jalousie, d’ascendance et de dépendance, de sadisme et de masochisme aussi, de dépression et de chantage affectif. À travers ce personnage de cinéaste reconnu et tyrannique (en particulier vis-vis de son bras droit, docile et énamouré, qu’il se plaît à martyriser) s’entichant d’un jeune aspirant acteur, Ozon s’amuse (son film a une approche plus boulevardière que celui de Fassbinder, est moins rêche et moins cruel, ce que l’on pourra éventuellement regretter) à redessiner la carte du sentiment et de l’éros dans tous leurs états.

De ce huis clos à trois où les corps et les âmes se mettent à nu, se révèlent en violences et en intentions, qu’on étale sur les murs en grandes photographies ou qu’on cherche à capturer, à contenir toujours, il ne restera qu’un vide, un crachat à la figure et des larmes, amères sans doute, mais coulant, là, dans un sourire retrouvé. Si Denis Ménochet crève l’écran en ogre rongé par l’exigence et par ses convoitises, on préfèrera pourtant la prestation géniale de Stefan Crepon dans le rôle de Karl, cet assistant qui subit (ou aime à subir ?) en silence les caprices de Peter, et comme on préférait aussi, chez Fassbinder, Irm Hermann dans celui de Marlène éprouvant les foudres de Petra. D’ailleurs Hanna Schygulla, icône fassbinderienne, objet du désir dans Les larmes amères de Petra von Kant et ici mutter réconfortante, le lui a dit : «Alors c’est toi qui joues Marlène ? Tu vas voir, pas un mot, mais c’est le meilleur rôle. Le plus payant». Dont acte.

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le 11 juil. 2022

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