Apocalypse cow
Petit Paysan commence par une scène onirique, qui mélange habilement le cocasse et l’angoisse, et semble un écho à celle qui ouvrait le fantastique Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller : une entrée...
le 13 janv. 2018
79 j'aime
13
Avis mitigé sur ce film, qui pourtant traite bien son sujet : il y a bien une mise en avant des aspects destructeurs (surtout humainement et moralement) des risques sanitaires, des mesures de prévention (en cas de grippe aviaire, l'élevage touché ainsi que les élevages alentour sont abattus), et aussi, plus généralement, des risques et de la difficulté du travail agricole. C'est le synopsis du film, le sujet, l'élément déclencheur, la « cause » du récit.
Un autre bon aspect du film est qu'il effleure (plus ou moins consciemment) plusieurs thématiques liées aux mondes agricoles et ruraux : le célibat paysan, l'industrialisation de l'agriculture (le pote du petit paysan a 500 hectares, des robots de traite, et même un fucking semi-remorque en guise de bétaillère !), l’écart entre le travail et la technique, l'angoisse sanitaire (une épidémie, c’est le gros lot, mais même la simple mammite est à surveiller de près), mais aussi les loisirs, les relations et la vie sociale, la désertification rurale, l’isolement, le suicide, etc. On peut trouver dommage que des dimensions-là n’aient pas été plus approfondies, mais ce n’est pas le sujet du film, et puis il aurait fallu le rallonger et le garnir, ça aurait été difficilement digeste (vu le type de film qu’il s’agit). La présence (même de quelques minutes) de ces thématiques est un point intéressant.
Cependant, il y a d’autres choses que je trouve frustrants.
J'ai eu rapidement l'impression que le personnage principal était un citadin qui revenait à la terre. Si c'est, d'une certaine manière, « consenti » dans le début du film, que le personnage principal ne soit pas dans sa voie originelle ou destinée (le personnage vient de la campagne et est fils d'exploitants retraités, lors d'un dialogue avec ses parents, la mère dit qu'il s'agissait presque d'un défi pour son fils de s'installer en éleveur laitier)… Donner des coups de masse à son animal, l'incinérer et l’enterrer, ou donner un coup de fusil à une autre, c'est excessif. Rapidement au début, le film accélère à 300km à l'heure pendant quelques minutes. Ainsi, l'engrenage est lancé, le jeune éleveur ne peut qu'empirer sa situation et le récit…
Une autre chose m’a troublé, ce sont certains passages humoristiques (le coup du voyage en Corse, ridicule). Certains mal-venus, d’autres qui se trouvent une place, mais d’autres sont dérangeants, notamment parce qu’ils contrastent trop avec l’aspect dramatique du récit.
Pour essayer de conclure, j'ai l'impression que ce film, d’une certaine manière, n’est pas fait pour des agriculteurs-trices, ou des personnes qui les côtoient dans leur travail. Il ne faut pas croire qu’il s’agisse d’une intention du film de ne pas être destiné à ces gens-là, il ne faut pas non plus (/!\ Alerte Contradiction /!\) croire que le film, d’une certaine manière, n’est pas fait pour des agriculteurs-trices, ou des personnes qui les côtoient dans leur travail.
Il faut avoir quelques éléments en tête pour comprendre :
Le réalisateur est lui-même issu de ce milieu et a voulu mettre en images les difficultés du métier, et quelques aspects de ses transformations. Effort louable, très louable, car toute la difficulté réside dans le fait de parler de son milieu d’origine, milieu d’origine que l’on quitte (pour ma part, je suis dans le même cas, et c’est réellement difficile de garder des liens tout en allant dans une autre direction), milieu qui est en crise s (le pluriel se justifie), et que l’on illustre à travers la pellicule.
(Anecdote qui n’est pas sans importance : la ferme du tournage n’est autre que l’ancienne ferme des parents du réalisateur, qui eux-mêmes jouent les personnages du père, de la contrôleuse laitier. Sans oublier de faire une spéciale dédicace au grand-père – du réalisateur et du personnage principal –, à qui on souhaite une nomination aux Césars !)
Hubert Charuel est d’autant plus courageux qu’il est aussi intervenu lors de plusieurs projections dans des cinémas de villes rurales. La difficulté étant de parler d’un film sur le monde agricole... sans provoquer de débat sur l'agriculture ! Logique : il aurait pu se voir manger sa casquette de force.
Ces éléments en tête, il faut maintenant comprendre ce à quoi s’attendent des agriculteurs-trices, ruraux, vétérinaires et autres personnes qui se côtoient :
Ce qui me dérange, et ce qui a dérangé beaucoup de personnes dans mon entourage, c'est qu'on a du mal à voir quel message est transmis à travers le film. Car on s’attend à voir un message.
Au fond, ce film n'a pas vocation à faire passer un message fort (je veux dire, politique, ou militant), alors que quand on est proche des milieux ruraux, on s'attendrait à y percevoir un message ou une interprétation. Or, il n'y en a pas, l’attente (d’un message, d’un témoignage… d’une solution ?) n’est pas satisfaite, et que donc, le film semble apparaître comme une représentation du monde agricole. Représentation qui n’est pas forcément la plus pertinente d’un groupe social. Le scénario ne semble pas harmonisé avec le contexte actuel (ou plutôt, c'est le contexte qui est trop important pour « tolérer » le scénario). Ça explique, notamment dans la salle pendant et après la projection, les réactions troubles, et parfois hostiles des ruraux et des agriculteurs-trices (plus tard, des amis rapportaient l’avis d’un véto : « j’ai eu l’impression d’être au boulot »).
Il faut plutôt prendre ce film comme une histoire, simplement une histoire, qu’il faut non pas rattacher à une réalité « exacte » (je conçois, ça veut tout dire et ne rien dire), mais plutôt la rapprocher de cette réalité sans la confondre. Ce film parle de détresse, d’une réelle détresse, détresse qui existe et pas seulement dans l’élevage, mais il faut considérer le film comme une fiction, ne pas le prendre comme documentaire.
Bon, d’autres points positifs qui prennent anormalement moins de place ici : le film est bien fichu ; la performance de Swann Arlaud est saisissante ; les acteurs rentrent tout à fait bien dans la peau des personnages ; la première scène ! Tout le monde en rêve en secret…
… Ah, et aussi, le personnage de Jamy (c’est pas la faute à Bouli Lanners, vraiment) est juste ridicule (« Faut qu’on fasse une vidéo ! »), alors qu’il est symboliquement important. Dommage.
(NB : sur la notation, j’hésite entre le 5/10 pour le fond, et 7/10 pour la forme, je choisis l’entre-deux)
Créée
le 29 oct. 2017
Critique lue 347 fois
5 j'aime
D'autres avis sur Petit Paysan
Petit Paysan commence par une scène onirique, qui mélange habilement le cocasse et l’angoisse, et semble un écho à celle qui ouvrait le fantastique Exercice de l’Etat de Pierre Schoeller : une entrée...
le 13 janv. 2018
79 j'aime
13
Nous voici transportés dans les paysages verdoyants de Dayes, un petit village près de Saint Dizier dans la Haute-Marne. C'est là que Pierre possède une ferme dans laquelle il s'investit énormément...
le 22 oct. 2018
44 j'aime
31
Je me méfiais un peu des critiques dithyrambiques de la presse nationale au sujet de ce "Petit paysan" car pour une bonne partie de ces médias influents, la campagne, c'est un peu le lieu où vit la...
Par
le 23 sept. 2017
39 j'aime
13