Dans une laverie, une femme (Geneviève Tenne) explique son mode de fonctionnement hyper empathique à un inconnu (Alexis Armengol), qui la regarde et l’écoute avec une sensibilité infinie. Le début d’une rencontre ? On n’en saura pas plus... D’une fenêtre sur cour à l’autre, une femme (Myriam Aziza), qui pose du ruban adhésif sur ses fenêtres en vue d’un coup de peinture, observe, en contrebas, une petite fille (Salomé Biard), qui joue avec son ourson. Mais, si l’ourson était un enfant, sa « maman » serait plus maltraitante que tendre... Que dit ce comportement de la petite fille ? La dame, intriguée, suspend ses gestes. Jusqu’à ce que la petite fille, sentant ce regard, interrompe son jeu et observe à son tour...


Dès les premières saynètes, l’adjectif du titre « Petites Révélations » prend son sens. Le premier volet de ce que Marie Vermillard conçoit comme un triptyque livrera dix-neuf « petits » éclats de vie, de ces moments intenses et concentrés qui, à la manière d’un miroir de sorcière, contiennent tout un monde, disent tout d’un lien. Dix-neuf facettes de diamant qui jetteront leurs feux sous l’effet d’un frottement, puisque toutes jailliront d’un lien, d’une mise au contact, plus ou moins fugace et s’inscrivant dans une relation plus ou moins durable.


Ce contact pourra aller jusqu’à être totalement muet, comme dans la deuxième scène, ou même frôler la pantomime, comme dans la rencontre d’aéroport, désopilante, où une femme (Caroline Steff), dans une salle d’attente, gêne par son regard un homme (Jean-Pierre Lemoine), bien sous tous rapports en apparence, mais qui mâchonne aussi bruyamment que vulgairement son chewing-gum... S’ensuit un jeu de scène qui n’est pas sans rappeler l’histoire de la grenouille à grande bouche... Vous ne la connaissez pas ? Tant pis ! Irracontable par écrit !


Dans d’autres frôlements, un seul des deux partis reste muet, mais reçoit fortement l’impact, telle cette femme (Hiam Abbas), conduisant sur une route étroite, et soudain stoppée par un homme (Xavier Champagnac) qui la supplie de l’écraser, pendant que son chien bondit autour de lui en semblant faire l’impossible pour le dissuader de son projet. Scène saisissante, où explosent toutes les douleurs du monde... Ou encore ce côtoiement cruel, dans lequel une troupe d’enfants joueurs entoure un petit garçon serrant précieusement contre lui une bouteille de lait. Si l’on songe évidemment à la pauvre Perrette, Marie Vermillard filme la scène avec une telle intensité que jamais le lait renversé et s’écoulant entre les pavés n’aura eu à ce point le goût du sang. Celui de l’innocence brisée. Jonction de la candeur supposée enfantine et de la cruauté malheureusement humaine qui évoque irrésistiblement le chef d’œuvre trop peu connu du réalisateur lituanien Arunas Zebriunas, « La Belle » (1969).


Parfois encore, un déluge de paroles échangées n’aboutit toutefois pas à ce que le message soit plus clairement passé, comme dans la jolie scène qui réunit, pour notre plus grand plaisir, Maryline Canto et Philippe Rebbot, délesté de l’attribut de ses lunettes, mais toujours reconnaissable à sa voix et à sa silhouette spécifique. Et d’autres fois, une scène de couple (Laurianne Hueber et Rodolphe Couthouis) presque silencieuse, malgré l’intermède amusant qui la coupe, est plus déchirante encore, dans sa façon de signer un message malheureusement trop clair...


La brièveté de ces saynètes permet la pointe, la saillie, et ne dilue pas leurs effets dans le commentaire. Celui-ci, muet, est parfois délégué à la beauté silencieuse du monde, dans un jeu de reflets, le bruissement d’un fleuve... On ne peut que louer le travail des directeurs de la photographie dont Marie Vermillard s’est entourée : Benjamin Chartier, Justine Bourgade et Hadrien Ricol. Les animaux, comme dans la scène de l’homme suicidaire, ne sont pas écartés de l’action, ou assument aussi cette fonction de commentaire ; ainsi l’agitation qui gagne un chat, lorsque sa maîtresse fond en larmes, accompagnant les pleurs qui s’écoulent dans le message téléphonique qui est en train de lui être déposé.


Importance du rôle dévolu aux animaux attestée par le fait que c’est à un chien, dans l’avant-dernière scène, que se voit confié le soin de rendre la mort visible, dans tout son scandale ; rarement, au cinéma, on se sera surpris à devoir contrôler la régularité de son souffle en entendant les halètements d’agonie émis par un malheureux quadrupède entouré de ses maîtres (Stéphanie Andriot et Joël Brisse). Une présence de la mort qui referme douloureusement la série : une femme (Madame Thomas), déjà âgée, semble gagnée par l’émotion en entendant de loin, dans un téléfilm, les larmes d’une femme plus jeune, à l’annonce de la disparition de sa mère...


Malgré cette double clausule bouleversante, on ressort régénéré de ce kaléïdoscope de vies, régénéré par un regard si vigoureusement humain.

AnneSchneider
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le 12 août 2020

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Anne Schneider

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