Psychologique, drôle et sombre, le film de Paul Thomas-Anderson invoque avec élégance le fantôme d'Alfred Hitchcock (avec Jonny Greenwood dans le rôle de Bernard Herrmann) pour une mission à la fois improbable et perverse : réaliser la première comédie romantique intelligente.


Reynolds Woodcock est un créateur de mode qui s'amourache de jeunes filles naturelles pour les transformer en icônes de mode : il les aime le temps de les sublimer, en leur faisant porter ses créations, puis il s'en désintéresse. Alma, elle, est serveuse : elle aime simplement, en se donnant à celui qu'elle aime. Deux formes d'amour, aux antipodes l'une de l'autre.


Ces deux personnes vont se rencontrer. Reynolds va tomber amoureux d'une serveuse maladroite dans le but d'en faire une muse éternelle. Alma va tomber amoureuse d'un dandy rigide et indépendant avec la volonté d'en faire un mari aimant... Inconsciemment, Reynolds et Alma vont donc se piéger eux-mêmes dès le début de leur relation et, partant d'un synopsis de comédie romantique, Paul Thomas-Anderson va transformer leur histoire d'amour en une véritable bataille psychanalytique.


Reynolds - comme Alma le devine très vite - n'est pas l'homme fort qu'il fait semblant d'être, c'est un homme névrosé qui a fait le vide autour de lui et qui s'est refermé depuis la mort de sa mère, ne gardant pour lui que sa soeur (sa mère de substitution) et l'ascèse de son travail. Mais c'est aussi un artiste pour qui la vulgarité des hommes est insupportable. Alma, pour exister auprès de lui, va devoir trouver un moyen de le faire revenir sur terre, de s'inscrire dans les cycles de destruction et de création qui rythme sa vie d'artiste, et de mettre fin à ce qui s'apparente à une forme d'anorexie émotionnelle.


Le mot anorexie étant prononcé, on peut enchaîner sur la nourriture, car elle est essentielle au film et c'est elle qui sert de baromètre pour connaître l'état psychologique de Reynolds. Il la refuse au début du film quand il n'aime plus sa maîtresse, il s'en empiffre quand il rencontre Alma, elle est source de conflit lors d'un dîner aux chandelles et c'est elle encore qui tient la vedette lors de l'extraordinaire scène finale... La nourriture, ce que l'on accepte de prendre en soi, ce corps étranger qui nous remplit, comme un symbole de l'amour reçu. Le défi d'Alma sera d'une certaine manière, de se faire accepter par Reynolds comme nourrice et pour le couple, de réussir à mettre en place cet échange, cette dépendance.


Phantom thread est un film sur une femme qui trouve un moyen de sauver l'homme qu'elle aime de la misanthropie, c'est un film sur une relation sadique qui s'inverse, c'est un film sur l'amour que l'on donne et l'amour que l'on consomme, et c'est, sans trop exagérer, une comédie romantique qui par sa maîtrise et sa réalisation clinique, aurait parfaitement sa place dans la filmographie de Stanley Kubrick.

JérémyMahot
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le 24 févr. 2018

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Jérémy Mahot

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