Coup sur coup, le meilleur réalisateur américain vivant, peu prolifique, Paul Thomas Anderson enchaine d’un film a un autre une œuvre d’art complète, la plus complexe, et maintenant la plus belle avec ce drame prenant place à Londres dans une maison de Haute Couture tenue d’une main ferme par le grand couturier Reynolds Woodcock et sa sœur Cyril. Alors qu’il s’échappe un temps de Londres à la campagne il rencontre une jeune serveuse bien maladroite Alma, elle deviendra l’amour et la muse du couturier. Le film ouvre une porte de réflexion intéressante sur l’art de Paul Thomas Anderson, la fin d’une époque est bien souvent ce qui motive un artiste dans sa création, Federico Fellini à chercher constamment à recréer l’Italie passé de son enfance et son Italie fantasmé, le passé est ce qui hante le plus les cinéastes avec la mort, il pousse dans ses derniers retranchements l’artiste qui n’a d’autre choix que de foncer dans le mur, au risque de perdre toute direction. Les œuvres de Paul Thomas Anderson témoignent d’une parfaite maitrise de leurs contenus et de leur mise en scène, dans There Will Be Blood, la découverte du pétrole transforme le monde à commencer par celui de Daniel Day Lewis, le grand acteur britannique encore une fois sublimé par Anderson fait ses adieux avec Phantom Thread. The Master ne fait pas que démonter les barrières entre religion et secte mais dépeint la fin de la croyance désintéressée et le basculement des Etats-Unis transformé par leur victoire à la guerre.

Naissance de la société de consommation et époque des narcotiques dans Inherent Vice, le précédant et déroutant film de Anderson fait encore parler pour sa complexité hallucinante notamment grâce à la performance hallucinée de Joachim Phoenix. Phantom Thread est à la fois une renaissance dans son style, délaissant le naturalisme vers un baroque flamboyant, les tons pastel ou clinquant des robes de Woodcock s’entremêlent aux murs pale, à la campagne verdoyante il préfère la simplicité des couleurs moins tape-à-l’œil. Le drame tombe pourtant dans une impasse, celle de son sujet, une étrange sensation nous secoue alors, la désagréable sensation d’être oublier, le film peut être aussi sublime il n’empêche ni la sècheresse des personnages, la froideur presque mortuaire des costumes et décors. Le film est surprenant dans son fatalisme, l’amour se dévore, se doit de survivre par la mort et la renaissance, il s’éveil nécessairement dans la souffrance, ce qui peut profondément ennuyer car trop cruel et conceptuel soit laisser totalement étranger tant tout ceci est superficiel. Mais n’est ce pas le principe même de la mode et la recherche opéré par Anderson dans son film ?

Film Haute-Couture, film peinture, film à la beauté froide mais une beauté parfaitement présente. Elle s’imprègne dans chacune des images, elle est dans la magnifique bande originale composé par Jonny Greenwood, une beauté qui chavire car elle transcende ce que le cinéma d’aujourd’hui peut offrir, si il déjà bien assez rare de voir de beau film, il est encore plus rare qu’un film eau soit autre chose qu’un test formaliste et plastique, il y a dans Phantom Thread cette beauté originel du cinéma que l’on pourrait croire bien sage et classique mais au contraire bouleverse toute les constructions du cinéma d’auteur. Il est rare d’avoir comme dans Phantom Thread du cinéma au détour d’une montée d’escalier, du cinéma dans la découpe d’un vêtement, dans la pénombre d’une chambre pendant que le pauvre Reynolds se tord de douleur dans son lit, il est toujours question dans le film d’une vie empoisonnée, par les règles, la mode et l’amour. L’ordre établit avec tant de soin par Reynolds a besoin du chaos apporté par Alma, elle l’emmène non plus dans les amours de muse passagère ou dans l’ennui mais sur un autre chemin, celui d’un amour sincère et qui fait mal. Reynolds est hanté par le souvenir

de sa mère, l’apparition au détour d’une robe de mariée, le blanc fantomatique s’ajoute aussi à la pureté sans cesse recherché par le créateur qui évolue dans un monde et une époque qui tourne trop vite, parfois son talent est vampirisé par des clientes vulgaires, pourtant la beauté demeure, les épreuves renforcent cette fois dans la chaire et no plus dans l’esprit, ce n’est plus un adage mais une nouvelle règle de vie. Refusé le conformisme, préféré une beauté classique, faire de la mode un des beaux-arts et non le bazardé aux étagères poussiéreuses des cottages. L’évidence qui nous vient à l’esprit, outre la qualité photographique du film, est la remarquable performances des acteurs. Nous n’évoquerons pas celle de Daniel Day Lewis, pour la simple raison qu’il n’est plus utile désormais de juger de la qualité de ses performances. Notre se tourne vers la grande révélation du film, Vicky Krieps la jeune actrice luxembourgeoise interprète Alma, la femme qui va bouleverser le cœur du créateur mais aussi sa petite vie tranquille. L’héroïne a ici quelque chose de la femme hitchcockienne, un insondable mystère, elle porte dans chaque scène une fascination sur l’homme, elle est aussi bien objet du désir qu’objet de mort, Eros et Thanatos sont deux dans le personnage intrigant et sensuelle d’Alma. Le contraire de la sœur de Reynolds, Cyril interprétée par Lesley Manville, surprotectrice,

l’anglaise du siècle dernier, à la fois gardienne du temple et gardienne de son frère. Manville délivre une interprétation renversante, discrètement sévère, jamais terrifiante, parfois drôle. La sœur et le frère partagent le souvenir de la mère, dans sa robe de mariée, une présence fantomatique aperçu au cours des douleurs ressenties par Reynolds sont là pour rapporter le film à une dimension plus symbolique, amène le superficiel et la théâtralité de la vie du frère et de la sœur dans une réalité mystique, Anderson se ramène lui-même a son cinéma, il est le cinéaste des souvenirs en témoigne Magnolia et There Will Be Blood. Avec Phantom Thread, Anderson effectue une r-évolution classique dans son cinéma, le rapproche des drames du cinéma américain, on a déjà parler de Hitchcock mais il fait aussi dire à Frirtz Lang et Enrst Lubitsch, sophistication, beauté et modernité sont les marques de ces grands cinéastes dont fait parti depuis longtemps Paul Thomas Anderson. Il rend un bel (sans doute l’un des plus beaux du cinéma) hommage à la mode et au cinéma.

Un chef d’œuvre est un œuvre accompli, c’est une création qui dépasse l’objet d’art pour être l’œuvre d’une vie. Donner vie à son chef d’œuvre c’est pour l’artiste atteindre la perfection. Daniel Day Lewis a décidé de mettre fin à sa grande carrière au cinéma avec Phantom Thread de Paul Thomas Anderson, il termine sa carrière sur un chef d’œuvre. Un chef d’œuvre qui ne l’est que pour lui, comme apogée de sa vie d’acteur, il est parvenu à atteindre la perfection dans ce film parfait. Une perfection presque absurde tant elle est convaincante et évidente, tant il n’est plus possible pour Paul Thomas Anderson de dépasser ce qu’il vient de créer. Il n’y a en vérité que très peu de chef d’œuvre de cinéma, ce qui a longtemps fait du cinéma non pas un art mais un divertissement, mais le cinéma a connu des chefs d’œuvres, des films qui en n fait un art, le septième. Nous n’en sommes qu’à la dix-huitième année du troisième millénaire, mais Phantom Thread est le premier chef d’œuvre de notre siècle et de notre millénaire. Phantom Thread à la force de Metropolis, la beauté de La Belle et la Bête, la modernité de 2001 l’Odyssée de l’espace, l’émotion du Docteur Jivago, il est déjà au panthéon des arts, déjà un tournant dans l’histoire de l’art de la lumière.

Mastagli_Alexandre
9

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le 30 mai 2022

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