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De l’art culinaire au taffetas soyeux du soupçon, cousu dans les plis intimes de la névrose, l’amour devient un exquis poison. Un film sublime tout en nuances et en faux semblants à l’élégance un peu surannée, à la lumière magique, qui capte les à l’ambiance Hitchcockienne parfois étouffante, qui parle autant de la solitude névrotique et l’obsessionnelle quête de perfection du génie créateur… En toile de fond, le fantôme insistant et œdipien d’une mère trop aimée et le regard inquisiteur d’une sœur exclusive. Y a t- il une place pour une femme ? Pour l’amour d’une femme ? Le génie est souvent narcissique. Les silences, les regards, les rougeurs de la peau , les gestes du quotidien et ceux du travail artistique, viennent peu à peu ourler fil à fil les processus parfois ambigus de cette rencontre amoureuse, de cette passion qui subtilement non sans une pincée de perversité, va faire basculer le rapport de domination du créateur et de sa muse. Névrose ou perversion ? Qu’importe d’ailleurs, cela parle d’un amour auquel peu à peu en se délivrant de ses fantômes et de leur prison, va pouvoir s’abandonner Woodcock en élargissant son regard sur le monde qui l’entoure. nouer le processus amoureux et le processus créateur réalise une transposition cinématographique des plus réussies d’un fonctionnement psychologique particulier que d’aucun pourrait nommer « pervers ». Mais c’est tout l’art du réalisateur de brouiller des pistes et de ne pas faire une étude « clinique » qui en enlèverait son mystère. Qu’est-ce donc que cette relation très particulière entre Alma (inspiratrice et femme amoureuse) et Reynolds, créateur de robes, personnage narcissique sans aucun doute, tyrannique et torturé par la nécessité de l’excellence ? Parler de perversion ne me convient pas. Quand bien même se tisse entre eux une modalité de relation qui contiendrait un « noyau pervers » (il me semble que c’est toujours délicat à manier ces concepts qui renvoient à un jugement moral, une pathologie alors qu’on est dans un style de fonctionnement relationnel où le fantasme a une grande part ) Au départ, Reynolds exerce non pas tant une emprise sur elle qu’un contrôle pour l’accorder à ses désirs et qu’elle soit conforme à un fantasme, c’est-à-dire pouvoir combler un manque primordial et ancien , correspondre à cette figure idéalisée , à savoir la mère, qui surgit parfois comme hallucination, mais une image sans cesse inatteignable car décevante dans la réalité (tout cela sous le regard d’une sœur autant « protectrice » du « culte maternel » qu’éprise sans doute inconsciemment et sur un mode oedipien de ce frère admiré , dont les compagnes se succèdent.) Alma est une femme suffisamment intuitive pour avoir capté ses fêlures et ce manque fondamental pour le combler chez ce génie qui semble inapte à l’amour ? Que se passe t- il chez Reynolds qui pour une fois peut être découvre une femme qui lui résiste et que dans cette résistance même , qui va très loin, il va succomber de son plein gré et se connecter de nouveau à ce manque affectif si profond en redevenant un enfant ayant besoin de soins maternels ? (cela en passe d’ailleurs par la nourriture, l’oralité en lien avec ces premières expériences maternelles) C’est d’ailleurs là où peut se glisser ce que Freud appellerait des « pulsions partielles » de la perversion, à partir de ces préparations culinaires où s’infiltre une incroyable sensualité…Alors , sans doute y - a-t-il dans ce lien , le tissage d’un pacte pervers tacite entre ces deux-là, ne serait-ce que dans l’abîme du flirt avec la mort, où tout passe par le jeu du regard … Mais il y a de l’amour et dans cet amour, une place pour un jeu amoureux qui va se construire sur un mode très symétrique.
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Créée
le 7 août 2024
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