Un récit en forme de machine à produire de l'inconnu et de la béance
Par Vincent Malausa
Ex-roi du twist et prodige des box-offices, il ne reste plus grand-chose du chaillou. Depuis son phénoménal Village, le plus sioux des cinéastes hollywoodiens a lâché pas mal de monde en route, si bien que Phénomènes, malgré un pitch inouï (des citadins se suicident par grappes entières dans le Nord-est des Etats-Unis), porte tous les stigmates du film amoché et revenu d'entre les morts : cette photo lavasse, cette ambiance sépulcrale et déprimée, ce rythme hirsute de série B tout sauf apprêtée sont à des années-lumière du style tiré à quatre épingles des éclatants prototypes qu'étaient Incassable ou Signes. Et pourtant, tout est là, du goût pour la fable politique au fourmillement d'idées visuelles, des tressautements burlesques aux rails du conte psychanalytique (un couple qui ne sait pas communiquer affublé d'une fillette anxieuse) : tout est là mais rabougri ou dilaté de manière improbable. A l'image de cette vieille folle qui accueille les personnages dans sa cabane de sorcière ou de cette atroce séquence vidéo surgie de nulle part (sur un portable, un dresseur se fait bouffer tout cru par des lions affamés).
Si l'effroi et le grotesque, l'horreur et le mélo priment désormais sur l'ampleur et la souveraineté du récit, Phénomènes chauffe à blanc le grand principe paranoïaque à l'oeuvre dans tous les films de Shyamalan : jeu d'épure par où la fable s'étrique et les comportements confinent au réflexe, mais où la terreur, elle, rayonne comme jamais en menaçant de vider à tout instant les personnages de leur substance. Un père de famille s'arrête de marcher et se tire une balle en pleine tête, un paysan s'engouffre dans les fourches de sa grosse tondeuse, un conducteur accélère sans raison et s'écrase contre un platane. L'œil se vide et le geste, ultraviolent, s'impose dans l'horreur absolue de sa gratuité. (...)
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