Ninja Thyberg est une jeune réalisatrice suédoise qui s’était faite remarquer en 2013 avec son court-métrage Pleasure, une immersion absolue dans le milieu du porno. En 2021 elle revient avec la version longue, notamment sélectionnée à Cannes et à Deauville. On y suit le parcours de Bella qui à 20 ans décide de quitter sa Suède natale pour les États-Unis dans le but de devenir la prochaine star du X.

Ninja Thyberg n’a pas peur de son sujet, les coulisses d’un tournage porno y sont présentées sans artifices. La caméra pose un regard neutre sur ces pratiques, les dissèque véritablement sans jamais tomber dans le voyeurisme ou le racolage de mauvais goût. Dès lors il faut saluer la performance de Sofia Keppel qui se donne toute entière au sujet, une performance d’autant plus périlleuse pour une jeune actrice qui apparaît à l’écran pour la première fois. Keppel donne à Bella un caractère insaisissable, provoquant chez le spectateur un curieux mélange de sensations, entre fascination et incompréhension. Ce que la réalisatrice exploite à merveille, toute l’ambiguïté du personnage de Bella prend source dans les obscures raisons qui l’ont poussé à emprunter cette voie.

Le film prend des allures de documentaire tant il s’attache à montrer le fonctionnement, pratique ou administratif, du milieu pornographique. Il n’est donc pas étonnant que la plupart des personnages présentées soient de réelles personnes de cette industrie qui jouent ici leur propre rôle. On découvre donc Mark Spiegler, le célèbre directeur de l’agence Spiegler Girls, spécialisée dans les vidéos hard. Le charmant bonhomme se balade au milieu de “ses filles” du haut de ses 1m60 et dessine à lui tout seul le paysage pornographique.

Le spectateur ne sera pas étonné de découvrir un univers à la mysoginie crasse, où l’on se protège derrière des contrats et des phrases préventives du type “Tu es ok pour que ce soit brutal ? Fessée, gifles, humiliations… C’est ok pour toi ?” . Bien-sûr il faut donner l’impression d’y prendre du plaisir, une double pénétration ça ne peut pas faire de mal, au contraire les femmes en raffolent ! Si en plus on peut leur cracher un peu dessus histoire de peaufiner, on va pas se gêner. La femme est soumise, à la merci de l’homme et de son pénis de 20cm qui dicte sa loi et perfore sans modération. Mais les hommes ne sont pas en reste, écrasés par ce culte de la performance physique ; il faut que ce soit gros, que ce soit dur et que ça dure.

Pleasure est donc un film passionnant pour ce qu’il nous apprend d’une industrie qui profite à tous et engrange des millions (la pornographie représente 27% de la consommation de données au niveau mondial). Cependant son scénario manque d’un souffle cinématographique et a du mal à se détacher de cet aspect documentaire. On passe de tournages en tournages et les pratiques y sont toujours plus hard, seulement un bon sujet ne fait pas un bon film. Les personnages sont trop peu exploités (notamment la meilleure amie qui rêve elle aussi de devenir une star), à force de trop se concentrer sur son sujet la réalisatrice en oublie de s’attarder suffisamment sur ceux qui font vivre cette industrie. Qui sont ces filles ? Qu’est-ce qui les a amené ici ? Nous n’en saurons jamais rien, toutes ces interrogations seront balayées d’une simple ligne de dialogue ; “toutes les filles ne se sont pas fait violer par leur père, c’est complètement faux.” Toutefois il s’agit d’une réussite pour un premier film et il nous tarde de découvrir le prochain projet de Ninja Thyberg.

GabinVissouze
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le 20 oct. 2021

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