Parvenir à proposer une œuvre de fiction intéressante située dans l'univers du porno, tout en posant un regard documentaire d'une grande justesse sur ce microcosme, ça n'avait rien d'évident, et je tire mon chapeau à Ninja Thyberg, jeune réalisatrice suédoise dont c'est le premier film (une version longue de son court-métrage éponyme).
Thyberg observe le monde du porno sans complaisance mais sans concession, évitant tout jugement moral comme tout misérabilisme, ne détournant jamais le regard quand le sujet devient scabreux ou dérangeant - à l'image de la séquence BDSM qui montre l'héroïne sérieusement molestée par ses deux partenaires, lesquels surjouent la douceur entre les prises, interrogeant ainsi les notions de choix et de consentement dans cet univers hyper machiste par nature.
Toutefois, Thyberg ne sombre pas dans la dénonciation facile ni dans le féminisme à la petite semaine, puisque "Pleasure" montre des jeunes femmes globalement maîtresses de leurs choix, simplement contraintes de se conformer ou non aux pratiques du métier, ni plus ni moins que dans d'autres secteurs d'activité de nos sociétés ultralibérales - une sorte de dumping social à la mode porno.
De plus, loin d'apparaître en simple victime innocente, l'héroïne Bella n'est pas dénuée de zones d'ombre : si l'on ne connaîtra jamais ses véritables motivations (un parti-pris fort de la part de la réalisatrice), la jeune suédoise semble surtout guidée par la soif de réussite et de célébrité, pas foncièrement différente des filles et garçons de sa génération évoluant dans d'autres sphères (télé-réalité, chanson, sport...).
Le cynisme "dénoncé" par le film ne se limite donc pas au secteur du porno, mais s'étend à la société dans son ensemble.
Hormis l'indéchiffrable (et convaincante) Sofia Kappel dans le rôle principal, Ninja Thyberg a fait appel à des comédiens issus du porno, sans que l'interprétation en souffre particulièrement.
Les amateurs croiseront donc des visages bien connus, tels celui de Dana DeArmond, Evelyn Claire ou Steve Holmes, sans oublier le véritable agent Mark Spiegler.
Rappelons pour conclure que "Pleasure" était interdit en salles au moins de 16 ans, le film montrant les coulisses du porno de manière frontale. Ames sensibles s'abstenir, donc.