Avec un titre pareil, on s'attend à vivre le 6 août 1945 dans ce moment en suspens, puis dans toute son horreur. Il n'en est (presque) rien.
Oui, on peut voir au détour d'un plan cette bombe qui tombe avec son petit parachute, qui paraitrait presque comique, en faisant abstraction de l'ampleur de la tragédie.
Oui, il y a ce flash d'un blanc aveuglant, puis le champignon qui s'élève.
Et l'horreur indicible, que le noir et blanc de la pellicule n'atténue pas. Un enfant encore vivant de chair fondue. La peau brûlée. Ces victimes qui agonisent lentement. Et il y a ces corps raides, figés pour l'éternité, comme ils avaient pu l'être à Pompéi.
Des images d'une puissance sans égale, tétanisantes et crues d'une chute dans les entrailles de l'enfer.
Sauf que Pluie Noire prend ensuite le spectateur par surprise en effectuant un saut dans le temps. En quittant la ville pour s'immerger dans la campagne, cinq années plus tard. Pour mettre en scène une chronique sociale de l'après-guerre. Du rejet et de la peur suscitées par les personnes irradiées.
Pluie Noire fuit donc rapidement le spectaculaire pour faire évoluer l'humain fracassé par les traumas de l'Histoire, le nouvel ordre de la société japonaise et la mort à petit feu, qu'elle soit physique ou sociale.
Si certaines facéties d'essence drôlatique éclairent le film, l'amertume et l'absurde dominent les événements filmés par la caméra d'Imamura. Tout comme l'incompréhension des personnages face à la folie des hommes et la souffrance qu'ils endurent encore longtemps après la fin du conflit.
Et ce qui déstabilise encore un peu plus, c'est que ce petit théâtre est situé dans un écrin de nature paisible et intemporel aux allures de paradis, qui semble indifférent aux outrages et au temps qui passe, cadencé par ceux qui tombent sous les coups du silence de leur maladie. Qui semble insensible, aussi, à cette lente désagrégation d'un pays à genoux dont ses victimes collatérales rappellent sans cesse la honte de la défaite d'un empire.
Mais il reste cependant, malgré la maladie, malgré l'ostracisme, la dignité infinie des protagonistes, ainsi que leur désir farouche de laisser derrière eux une vie heureuse marquée par une part de rêve et de symbolisme, à l'image de la danse fougueuse de cette carpe à fleur d'étang dont Shizuma et la jeune Yasuko sont les témoins.
Si bien que, sous les cendres du temps, il demeure toujours quelques minuscules instants de grâce.
Behind_the_Mask, Lettres d'Hiroshima.