[Mouchoir #66]

Je ne sais pas si les films de Laurent Achard sont faits pour tout le monde. Je veux dire s’ils parlent à tout le monde. Ça semble bête dit comme ça – aucun film n’en est capable –, mais j’ai l’impression qu’il faut avoir connu la campagne, y avoir vécu jeune, pour que ça nous parle. Il faudrait que cette œuvre soit pleinement découverte, mais a-t-on besoin de ces yeux pour la découvrir ?

C’est que sans avoir vécu les traumas qu’Achard ressasse de film en film, toute mon enfance s’y trouve pourtant. Toute ma ruralité. Les pots de sauce tomate qu'on offre, les sumacs vénéneux qui ornent le jardin, le portail déglingué qu’on change, le nouveau qui n’a plus le même charme, la fratrie qui dort à plusieurs dans le même lit, la couleur des champs changeante selon la hauteur du Soleil, l’oiseau qu’on reconnaît à même son cri, etc. Achard, aux côtés des absents, les extrait de tous les mots qui chercheraient à les arrêter à des pauvres, des petites gens, des campagnards¸ provinciaux, leur rend leur dignité, leur entièreté, leur présence, et surtout leur restitue le droit à la fiction.

Et le plus fort dans cette opération, c’est qu’il s’agit d’une fiction où rien ne semble avoir été inventé, et de ce trop-plein de vérité, mon petit cœur finit toujours par éclater, se sentant si triste, comme si je voyais tout ce qui avait été et qui a déjà disparu ou disparaîtra bientôt. Seule constance, le poids des relations compliquées ; euphémisme pour taire la violence. La déchirure de la séparation redoublée : entre la nostalgie passée et le présent amer, ainsi qu’entre les gens qui s’aiment et ne s’aiment plus.

Cinéaste inconsolable, essoufflé, terrifié, qui a manqué jeune d'amour, et qui compte bien le rencontrer au cinéma, quitte à le provoquer, dans toute la souffrance et la tendresse que cela implique. Plus qu'hier moins que demain, ce n'est pas seulement un titre, c'est une direction, un désir, la fermeté d'une intention. Laurent Achard nous a quitté il y a quelques mois, et il serait temps d'appliquer cette devise, de l'aimer plus qu'hier, moins que demain.

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le 8 juil. 2024

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