En 1607, un navire anglais débarque en Amérique du Nord, avec à son bord le gouverneur Ratcliffe, bien décidé à prouver enfin sa valeur au roi en découvrant l’or que recèle ce Nouveau Monde et en le lui ramenant. A bord se trouve aussi John Smith, un jeune aventurier paré à en découdre avec les sauvages qu’il rencontrera sur la terre ferme. Mais il ignore qu’à terre se trouve la belle Pocahontas, une indigène qui va le faire succomber sous son charme. Leur appartenance à deux peuples différents qui se livrent la guerre ne va-t-elle pas mettre en péril ce qui s’annonce comme un amour impossible ?


Pendant que sortait sur les écrans Le Roi Lion, chef-d’œuvre qui allait devenir un de leurs plus grands succès, les studios Disney préféraient tout miser sur le film suivant, Pocahontas. Ce dernier, prévu pour être la grande œuvre du Second Âge d’or des studios, est pour la première fois inspiré de faits réels.
On ne s’étendra pas trop sur la portée historique du film, car celle-ci s’avère à peu près inexistante. Bien sûr, on pourrait s’exaspérer ou se lasser de cette caricature qui contamine tant de films sur la colonisation, qui donne systématiquement tort à l’homme occidental tandis que l’indigène, lui, est forcément bon et vit en harmonie avec la nature, là où le colon préfère tout détruire sur son passage. Pourtant, ces poncifs sont légèrement tempérés ici, notamment par une écriture relativement fine malgré son manichéisme ambiant, qui a au moins l’intelligence de nous montrer que les Indiens vivaient déjà en guerre avant l’arrivée des colons, mais aussi celle de donner un mobile à Ratcliffe qui, s’il reprend de grands traits du triste cliché du colon raciste et borné, ne se résume pas à cela, puisque plus par ambition personnelle et pour prouver sa valeur aux yeux du roi que par pure haine qu’agit l’homme. Cela ne contrebalance nullement une vision très manichéenne des partis en présence, mais allège quelque peu une charge qui, si on ne généralise pas, ne rate tout de même pas tout-à-fait sa cible, car tournée contre une colonisation anglaise qui ne fut pas vraiment un modèle dans le genre…


Au niveau des personnages, quoique très unilatérale, Pocahontas rompt pour le mieux avec l'immaturité d'Ariel ou de Jasmine pour lorgner davantage du côté de Belle (sans l'égaler, bien entendu), tandis que John Smith, lui, plaît sans plus, n'ayant rien de désagréable mais n'exploitant toutefois pas assez la complexité de cet Occidental qui rejoint le camp opposé à son peuple. Quant aux personnages animaliers, on constatera que, pour une fois, aucun d'eux n'a la parole, les reléguant au pur rang de sidekick afin de laisser les humains au centre du récit, apportant une touche de malice bienvenue, quoique rarement très développée.
Ce qui est plus pénible, en revanche, c’est la morale du film, à base de « Crois en tes rêves », « Ecoute ton cœur », « Suis ton destin », et autres niaiseries qui prêtent le flanc aux détracteurs de Disney en leur donnant du grain à moudre pour faire croire que les studios aux grandes oreilles se réduisent à ce type de guimauve sentimentale, pourtant assez réduite dans leurs œuvres.


Mais ce qui convainc sans réserve et fait de ce Pocahontas un nouveau bijou d’animation, c’est bien sûr le travail visuel effectué. On n’en finira jamais de louer sans cesse le talent graphique inouï des animateurs Disney, mais le fait est qu’on ne s’en lasse pas. Avec Pocahontas, dont un des deux réalisateurs, Mike Gabriel, nous avait déjà prouvé l'étendue de son talent à travers le merveilleux Bernard et Bianca au pays des kangourous, ils reviennent à un style plus naïf, presque archaïque, très proche de la vision de l’Amérique de nous proposait Mary Blair dans quelques séquences de Mélodie Cocktail voire du style naïf et très médiéval de Ken Anderson dans La Belle au bois dormant. Les graphismes et décors, qui reviennent à des formes géométriques beaucoup plus pures que dans les précédentes œuvres des studios Disney donnent à Pocahontas sa patte si unique en parvenant pourtant à ne jamais briser l’harmonie des dessins, pas plus que celle entre les dessins et les décors. Tout est parfaitement à sa place, et si l’on retrouve une sorte de rigidité dans le design des personnages qui nous éloigne de l’exubérance du Roi Lion, et plus loitaine, de la période Reitherman, c’est cette apparente raideur pleine de retenue qui donne au film son ton tragique et solennel, quasi-shakespearien (comment ne pas penser à Roméo et Juliette ?), à une poignée de scènes très réussies.
Dommage que la plupart soient gâchées par des dialogues qui viennent briser l’épopée romanesque sur l’écueil du romantisme niais, mais il n’en reste pas moins quelques scènes très fortes comme celle de


la mort de Kocoum.


Plus que les graphismes et les décors, c’est surtout l’art des transitions et des fondus qui frappent la rétine : il n’y a qu’à voir la séquence de L’Air du vent, dont la beauté visuelle sans pareille relègue au second plan les paroles idiotes, laissant la magie de l’animation nous transporter en un dixième de seconde du haut d’une montagne à l’œil d’un aigle, et transcrit visuellement le souffle du vent avec une poésie sans pareille.


Enfin, on ne peut pas ne pas toucher un mot de cette étonnante scène finale qui, pour la première fois de l'histoire du studio, rompt avec le happy end habituel du genre (en rendant encore plus ridicule la suite qui nous sera proposée postérieurement pas les DisneyToon Studios) en apportant une touche de gravité fort appréciable dans un divertissement pour enfants, en préférant le réalisme de la situation au romantisme attendu. Une belle surprise qui laisse une légère note douce-amère en bouche, et n'en fait que rehausser la saveur d'un film déjà délicieux.


Portée par les très belles chansons de Menken (quoiqu’au rythme parfois plus qu’hésitant, cf. Au détour de la rivière), culminant dans ses airs de "méchants" (L'Or de Virginie et Des sauvages, les deux grandes réussites musicales du film), Pocahontas témoigne d’une alchimie formelle et d’une inventivité visuelle uniques en leur genre qui le hissent très certainement, malgré quelques faiblesses d’écritures, au rang des grands Classiques Disney.

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le 10 juin 2018

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Tonto

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