Le livre est moins un roman qu’un assemblage de saynètes interchangeables. Poil de Carotte y est à peine plus victime que bourreau – que sa part de méchanceté soit une conséquence du manque d’amour et de son statut de souffre-douleur, c’est une autre question. M. Lepic y fait preuve d’une résignation ambiguë – d’ailleurs, la résignation me semble toujours ambiguë. Et Mme Lepic s’y comporte comme ce qu’au xxie siècle on appellerait une perverse narcissique. Sur tous ces points, Paul Mesnier est fidèle à Jules Renard.
D’un point de vue purement cinématographique, disons que c’est moins réussi. Oui, on évite la reconstitution de la campagne nivernaise, avec chasse à la perdrix et basse-cour – ce qui d’ailleurs, en 1952, aurait à peine été une reconstitution. Oui, il y a dans le film quelques moments de lyrisme pur, presque tire-larmes, qui vous rappellent que Poil de Carotte parle de l’universelle difficulté à grandir, notamment quand on est petit garçon et qu’on a un père… Et oui, Raymond Souplex aurait mérité dix mille prix d’interprétation si les prix signifiaient quelque chose.
Pour le reste, c’est très plat. Sœur Ernestine en godiche et grand frère Félix en fantôme, on peut encore mettre ça sur le compte des personnages plutôt que des comédiens – idem pour les autres seconds rôles. Mais il y a Germaine Dermoz (Mme Lepic) toujours sur le même mode. Il y a ces intrigues superflues et artificielles : les fiançailles d’Ernestine qui apportent un peu d’humour noir sans vraiment l’exploiter, les amourettes de Poil de Carotte avec Mathilde qui apparaissent comme un cheveu sur la soupe et se concluent sans rien avoir apporté. Il y a cette quasi-absence de travail sur l’image – cadrages, mouvements de caméra, etc. : le cinéma, quoi. Il y a surtout ce rythme atrocement lent et monotone.
C’est que la cinquantaine de saynètes du roman de Renard donnait toute sa vivacité au récit, alors que Paul Mesnier doit tourner un long métrage. Je ne pense pas qu’il y ait de récits littéraires proprement inadaptables au cinéma. Mais des bons récits intrinsèquement et inévitablement voués à donner de mauvais films, ça existe, et je crains que Poil de Carotte en fasse partie.