La vitesse a l’effet d’une drogue sur les nerfs, elle libère l’esprit. Foncer à travers la l’autoroute à 160 km/h à 3heures du matin pour expulser la frustration refoulée. Ou bien rouler sans raison en écoutant la musique à fond, le plus loin possible peu importe la destination. C’est du vécu tout ça, il ne s’agit pas de trouver une solution, mais d’évacuer le trop plein. On dit beaucoup de chose sur Vanishing Point, mais il s’agit avant tout de retrouver la pureté originel. Pour comprendre ce qui a poussé Kowalski a changer de voie plusieurs fois au cours de sa carrière jusqu’à exécuter cet écart de conduite le menant à devenir hors la loi, il faut savoir partager sa solitude, sa mélancolie, son mal-être, ce qui est d’ailleurs mon cas. Après quoi, on pourra toujours juger sur pièce : le chauffard est présenté comme un ancien policier révoqué souffrant de problèmes avec l’autorité depuis qu’il s’est opposé à sa hiérarchie, pourtant c’est un vétéran du Vietnam, il a probablement vu des choses qu’il préfère oublier. Il a également perdu sa femme et abandonné la course automobile pour se reconvertir dans le convoyage de bagnole mais il s’avère aussi accroc au speed et aux amphétamines ce qui le pousse à se lancer le pari idiot de rallier San Francisco en moins de quinze heures, soit un périple de 2000km. Pour battre cette absolu record, il lui faut foncer comme une fusée à travers le décor. Mais à force de jouer les anguilles en slalomant dangereusement sur la route ou en pulvérisant la vitesse admise, il va naturellement se retrouver avec l’ensemble des forces de police lancés à ses trousses, dépêché sur l’ensemble du territoire de la Californie et du Nevada.


Vanishing Point ne parlera principalement que de ça, une fuite en avant où le conducteur revoit sa vie défiler devant ses yeux à chaque tournant auquel il oppose ses constantes lignes droites qu’il aborde pied au plancher pour exploser les barreaux de son existence absurde et sans intérêt, cherchant à repousser l’ultime frontière pour échapper à la civilisation ce qui ne fera que le ramener au point de départ comme ces sillons tracés dans le désert prenant la forme d’un symbole infini qui tendent à l’enfermer dans sa condition. Le film trouve le parfait contrepoint entre son réalisme et sa quête réflexive. Il est désormais de notoriété que le Road Movie sert avant tout le parcours intérieur de ses personnages, Easy Rider, Macadam à deux voies, La Balade Sauvage y compris Spielberg avec son Sugarland Express partage ce point commun de vouloir s’opposer à l’American Way of Life pour retrouver ce sentiment de liberté. Le récit trouve également son équilibre par son duo d’acteur improbable : Il y a donc Kowalski l’homme taiseux, sourire figé, perdu dans ses pensées malgré la gravité d’une situation qui ne viendra jamais entraver le bon déroulement de son introspection. Tandis qu’à l’autre bout de l’antenne il y a Super Soul, un animateur radio aveugle et exalté qui se le fait porte voix de son combat pour ériger un mythe qui pourra résister au temps comme le symbole d’une lutte social contre l’oppression de l’establishment américain et de la ségrégation ou bien comme le prolongement d’un rêve contestataire ancré dans la dernière décennie mais qui devrait continuer d’exister même s’il n’en reste que des vestiges et bribes éparses dans ce paysage austère. Tout comme nous, il cherche aveuglément à se réapproprier cette rupture pour lui attribuer un sens caché, fusse t-il politique. Kowalski deviendra donc malgré lui le représentant de cette Amérique oublié, de ceux qui sont laissés sur le bas côté dont il croise plusieurs figures au cours de son voyage. Homosexuels, hippie, ermite pas net, oldtimers, et autres marginaux de tout bord qui vont parfois l’aider à se cacher ou à poursuivre cette course poursuite qui ne pourra se solder que par son évaporation dans la nature, son arrestation ou bien sa mort.


Les interventions de l’animateur permettent d’intégrer une trame sonore rythmant la cadence de cette échappé belle à travers tout le territoire. Elles constituent également une mise en abyme fascinante de l’emballement médiatique déjà opérant à l’époque. Le relais de l’information va avoir un effet boule de neige et susciter un vaste engouement de la part de la population. L’auteur insiste d’ailleurs sur l’importance qu’elle peut engendrer dans l’imaginaire des gens, mais il pointe également la responsabilité de ces médias d’où le choix d’un aveugle afro américain qui prend le parti de diaboliser la police indépendamment de tout état de fait, ce qui aura pour effet de fermer toute possibilité d’échappatoire pour le chauffard et ce qui participe indirectement à alimenter la haine, les divergences et les fractures d’un pays dont les plus extrémistes auront tôt fait de saccager le studio pour se venger. Dans la séquence qui clôt le récit, Kowalski se lance avec fatalité contre un barrage de bulldozer qui lui barre la route, avant de disparaître dans une énorme explosion. La collision entraîne irrémédiablement la fin du rêve face au poids des institutions. Elle se veut plus réaliste et pessimiste. Pourtant le prologue du film livre une autre issue permettant à Kowalski de s’évanouir dans une ligne d’horizon soit littéralement vers ce point de fuite que sous tend le récit et d’investir le champ de la légende. Elle reflète également son état d’esprit alors en bout de course. En corrélant ces deux conclusions, Richard Sarafian cherche à conserver cette part d’illusion propre aux mythes cinématographique.


Evidemment, le plaisir susciter par Vanishing Point est avant tout celui de voir une Dodge Charger fendre l’air devant un cortège de police, dans un concours de cascades dangereuses et de dérapages euphorisant. Le spectateur sera libre d’y voir la révolte d’un marginal contre la société où seul demeurent les indomptés, un film hommage à la contre-culture des années 60, une lutte existentiel où s’oppose deux conceptions de la vie : l’une plus conservatrice et balisé, et l’autre plus libertaire et déchaîné, ou simplement un burn-out individuel provoqué par une série de drame et une consommation immodéré de stupéfiants. Mais si cette œuvre parvient encore à transcender le temps c’est justement par cette capacité sidérante à bifurquer diamétralement entre ses différentes parts prosaïques, symboliques, introspectives et historiques pour atteindre une forme d’abstraction convergeant vers ce point limite zéro.


À ce que l’on dit, c’est le voyage qui compte, pas la destination, et les détours mortels surtout... Alors si toi aussi tu aimes bouffer de l'asphalte au sens propre comme au figuré, rend toi sur L’Écran Barge. Tu y trouveras quantité de sérial-autostoppeurs et de chauffards frustrés.

Le-Roy-du-Bis
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le 3 oct. 2023

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