Huit ans après sa consécration avec "Les Amants du Pont-Neuf" Leos Carax revient en 1999 avec "Pola X", réadaptation du roman de Herman Melville "Pierre ou les ambiguïtés", avec dans le rôle principal le regretté Guillaume Depardieu (qui pique donc la place d'alter-ego caraxien du fidèle Denis Lavant).
L'histoire de Pierre un jeune écrivain vivant dans un château en Normandie avec sa mère, il songe à épouser sa fiancée Lucie, il connaît une notoriété montante avec son dernier livre, tout va bien pour lui. Seulement après un rêve et des appels téléphoniques troublants, il s'aperçoit qu'une jeune femme étrange à la beauté lugubre et funèbre l'épie, une nuit il fait sa rencontre en parcourant en moto une route traversant la forêt, elle parle avec un accent de l'est très prononcé, elle lui fait la révélation qu'elle est sa propre sœur. Il va alors fuir avec elle vers Paris.
Un film obscur qui nous dépeint l'évolution et la transformation d'un homme qui comme envoûté va suivre un nouveau destin, lâcher la brillante beauté aristocratique pour la crasse rouillée des bas fonds du monde, se perdre et "profiter" de cette expérience pour en nourrir sa créativité littéraire.
Les liens avec la jeune femme des bois, sa prétendue sœur Isabelle, sont très ambigües, je l'ai vraiment perçu comme une sorte de sorcière vagabonde au charme ensorcelant qui va lui faire franchir les portes sombres de sa perte annoncée, le mythe du poète maudit et torturé. On sent le sens de la provocation de Carax avec cette scène de sexe très explicite entre Pierre et Isabelle, dans un format très glauque et réaliste, finalement au service de la narration donc elle ne choquera que les puritains (bon en même temps la pénétration et la fellation sont apparemment non simulées), même les liens entre Pierre et sa mère (interprétée par Catherine Deneuve) sont tellement décomplexées qu'ils peuvent être sujet à une interprétation déviante.
Le personnage de Pierre est donc littéralement tiraillé entre ces trois femmes, en plus de son cousin qui le traîne à ses dépends dans ses affaires louches, il se retrouve emprisonné dans ce squat pourri à gribouiller ses pensées obscures en attendant presque inconsciemment sa chute inexorable. Carax arrive parfaitement de par sa mise en scène pointilleuse et sa maîtrise totale en terme de réalisation à nous faire ressentir la glauquitude de son support, l'ambiance est prenante dans le sens où elle en est quasi hypnotique, on retrouve l'originalité de "Mauvais Sang" ou des "Amants du Pont-Neuf", un univers qui charme par son sens de la pureté brut et poétique de la vie.
"Pola X" m'a beaucoup plu, encore une fois enthousiasmé par le talent de Leos Carax qui dans sa filmographie fait un sans faute en proposant une véritable patte, un cinéaste hors norme qui mériterait un statut tellement plus reconnu dans le cinéma français, à l'heure où on élève au pinacle des films sans aucun intérêt.