Quand je n'étais pas grand, une aimable jument alezane, baptisée Coquette par mon grand-père Nicolas, m'avait pris en affection. Celui-ci, alsacien depuis toujours, ne parlait que l'allemand et le dialecte qui en émanait, mais il aimait glaner de temps à autre un mot du français, un mot dont la sonorité lui avait plu et quand il avait accédé au sens, il en faisait volontiers son miel. Mon aïeul ne faisait qu'une distinction formelle entre le [g] de guerre et le [k] de cornichon. Nicolas hélait sa jument en l'appelant Goguette en place de Coquette et moi je trouvais que jamais cheval n'avait mieux mérité son nom et que l'accent d'Alsace de mon grand-père avait apporté une contribution essentielle pour bien mettre en évidence un trait amusant du caractère de la jument de mon enfance. Coquette, la bien nommée, n'aimait rien tant que de partir en goguette pour faire la conversation aux poules du voisinage, qui, à cette époque, n'étaient pas encore astreintes à un sévère confinement dans un enclos que certains s'obstinent à appeler poulailler par facilité ou goût immodéré de la métonymie.
Poly n'est pas une jument, pas même un vrai cheval. Poly est un poney. Autrement dit, il est un cheval de petite taille qui convient à l'équitation des enfants et à ceux qui ont les jambes suffisamment courtes pour ne pas traîner au sol. Poly est le pensionnaire malheureux d'un cirque itinérant. Brancalou est le patron de ce cirque. Il est interprété par un Patrick Timsit habillé et grimé en méchant particulièrement détestable et détesté, davantage encore que par les personnages du film, par le jeune public de la salle de cinéma. Lors de l'avant-première, Nicolas Vanier a bien fait de rappeler que Timsit est un homme très gentil et aimable dans la vie pour lui éviter d'être indéfiniment poursuivi par la vindicte des jeunes enfants du centre de Loisirs, très nombreux dans la salle ce jour là. Il n'en faut pas beaucoup parfois pour qu'une carrière soit définitivement ruinée.
Cécile est une petite parisienne, nouvelle venue dans un village du sud de la France et son intégration ne coule pas de source. Poly et Cécile étaient faits pour se rencontrer et c'est ce que la série de 1961 et le film de Nicolas Vanier aujourd'hui nous racontent avec un bel entrain. Cécile va soustraire le poney martyrisé à l'odieux Brancalou en organisant une évasion, puis une mise à l'abri de l'animal avec la complicité active des gamins du village. Sans rejouer une version soft de la Guerre des boutons, ils ne manqueront pas de ressources quand il s'agira de couvrir la fuite des deux fugitifs pour l'Italie.
François Cluzet en Victor, personnage un peu marginal, accompagné d'un bon chien bien sympathique et Julie Gayet, en mère un peu dépassée par sa fille de plus en plus entreprenante, apportent leurs concours souriant et bienveillant à l'entreprise de Nicolas Vanier. Les deux gendarmes de service ne font pas peur aux enfants de la salle tant ils sont maladroits et benêts, sans pour autant porter préjudice à la réputation de la maréchaussée.
Ce n'est pas vendre la mèche et gâcher le suspense que dire que tout est bien qui finit bien dans le dernier film de Nicolas Vanier. Un film pour enfants qui ne déplaira pas aux anciens enfants que nous sommes. De toute évidence, les nombreux enfants présents à cette première projection ont pris leur plaisir et la pertinence des questions qu'ils ont adressées au réalisateur laissent entrevoir que la relève semble en marche pour ce qui est de la cinéphilie de demain. Au passage, il faut saluer Nicolas Vanier qui a su trouver les mots et le ton pour satisfaire la curiosité d'un très jeune public.
Il n'y a pas de mystère. Pour former les lecteurs de demain, il faut ressortir des cartons les romans pour enfants qui ont fait leurs preuves, encourager une production littéraire pour la jeunesse de grande qualité et faire vivre les livres. Pour former les cinéphiles ou plus prosaïquement les amateurs de cinéma de demain, il faut remettre à l'honneur des films existants, en réaliser d'autres qui ne soient pas des sous-produits qui insulteraient les enfants et faire vivre ces films.
Avec Poly, Nicolas Vanier s'est attelé à ce défi et c'est une réussite. Les enfants et ceux qui les accompagneront ne seront pas roulés dans la farine en allant au cinéma le voir. Je ne reprocherai qu'une chose au film, il a oublié de rappeler que pour donner une pomme à manger à un cheval ou à un poney, il vaut mieux la couper en deux en la tendant posée sur une main bien à plat, le pouce serré contre la paume pour que le gourmand dans son impatience ne le croque pas avec la pomme.
Post scriptum
Si c'est à une vache que vous envisagez d'offrir une pomme, je vous conseille de la couper carrément en quartiers, car elle avale toujours sans mâcher et risque l'étranglement. La vache et son mari le taureau remettent la mastication à plus tard en régurgitant le contenu du rumen (premier estomac du ruminant). La rumination est cette opération de second temps auquel le bovin se livre de préférence « couché ». Quelques publiciaires ignares ont montré nos amies bovidées normandes, ruminant sous un pommier, cherchant sans doute à faire d'une pierre deux coups : promouvoir le beurre et le camembert du pays en même temps que le cidre de pommes. Ils ont oublié la règle d'or de l'éleveur de bovins : « Pas de pommiers dans le pâturage de ces dames ».