Il est toujours triste de voir que beaucoup de monde s’intéresse à des réalisateurs et leur carrière une fois qu’ils ne sont plus là… C’est le cas de Andrzej Żuławski, réalisateur polonais qui nous a quitté en Février 2016. Et parmi ses œuvres les plus connues et les plus importantes, nous avons Possession. Possession est un film de 1981 franco-allemand qui est né dans la souffrance. Le réalisateur était alors en plein divorce (d’où les thèmes du film), et le gouvernement polonais avait arrêté le tournage de son précédent film alors qu’il touchait à sa fin. Il décide donc de placer son intrigue à Berlin, non loin du mur. Une façon simple de multiplier ainsi les thèmes. Car Possession est un film riche, très riche, tellement que de nombreux aspects de l’œuvre laisseront des spectateurs sur le carreau. Possession est une œuvre exutoire, une œuvre parlant de la séparation, du double, mais également une descente poignante dans la folie de la psychè humaine. Un film riche dont de toute manière aucune critique ne pourrait rendre justice. Car si Possession, c’est un film au scénario riche, c’est également bien plus que cela, c’est également un film à la mise en scène virtuose et un film où les acteurs sont constamment à fleur de peau. Un peu comme si le cinéma de David Lynch et celui de David Cronenberg s’étaient réunis le temps d’un film. Le film nous parle donc dans un premier temps d’une rupture, une séparation douloureuse, et donc, de la possession amoureuse.
Mark (Sam Neill) et Anna (Isabelle Adjani) sont un couple vivant à Berlin, mais rien ne va. Anna semble distante. Mark ne tarde pas à comprendre en fouillant un peu qu’Anna voit un autre homme, Heinrich (Heinz Bennent). Une base simple qui va dans un premier temps faire basculer le couple, ou plutôt ce trio dans la folie, à coup de je m’en vais puis je reviens, de je ne t’aime plus mais j’ai besoin de toi. Chaque scène est une nouvelle opportunité pour le couple de se foutre sur la gueule, verbalement, mais également physiquement. Engueulades, mensonges, coups, mutilation voir automutilation, le film va loin, les personnages sont constamment à bout, et on pourra dés le départ saluer la prestation des acteurs. Sam Neill, qui n’a pas encore une grande carrière derrière lui (ayant débuté en 1975) trouve là son premier grand rôle, le rôle qui le fera immédiatement monter au panthéon des grands acteurs, même si pour une partie du grand public, Sam Neill, c’est Alan Grant dans Jurassic Park. Ici, l’acteur plonge corps et âme dans la folie, comme il le refera quelques années plus tard en 1994 dans le bien nommé L’Antre de la Folie de John Carpenter.
Mais si Sam Neill est énorme, il ne faut pas oublier Isabelle Adjani, qui à elle seule rend la vision de Possession obligatoire. Elle est bien loin de ces débuts dans les années 70 (avec par exemple La Gifle), mais continue son ascension dans des rôles plus exigeants après Le Locataire de Roman Polanski (1976), Driver de Walter Hill (1978) et Nosferatu de Werner Herzog (1979). Dans Possession, elle trouve sans aucun doute un de ses rôles les plus mémorables, mais surtout un de ses plus exigeants et un de ses plus fous et hystériques. Car si pendant 45 minutes, nous suivons nos personnages, se détestant mais se retrouvant inlassablement, Possession part alors par la suite vers de nouveaux horizons en incorporant à son récit des éléments du cinéma de genre, notamment une étrange créature (créée par Carlo Rambaldi, ayant œuvré sur La Baie Sanglante de Mario Bava, Les Frissons de l’Angoisse de Dario Argento, mais également Alien de Ridley Scott, King King de John Guillermin et Dune de David Lynch, rien que ça). Mais jamais Possession ne devient alors un simple film de genre, le réalisateur préférant incorporer divers éléments (une créature, des meurtres) à son intrigue et les adapter à son style et à son histoire plutôt que l’inverse.
En résulte une œuvre personnelle, aux divers degrés de lecture, qui ne dévoile jamais toutes ses clés (il suffit de voir son final), un métrage avant tout troublant, où tout le monde semble à bout. Tout se dérègle pour faire perdre au spectateur le sens des réalités, nous faire douter. Et le film y parvient sans peine, livrant des images inoubliables, et des images fortes, aidées par le jeu des acteurs. On se souviendra longtemps des déambulations d’Isabelle Adjani, comme possédée dans les couloirs du métro, en un plan séquence. Andrzej Żuławski maîtrise chaque instant de sa mise en scène pour mettre en valeur ce qu’il filme, que ce soit en plan séquence, en plan tournant sans cesse autour de ses acteurs, ou dans des simples plans hypnotisant et en apparence d’une simplicité extrême (Sam Neill se balançant sur son fauteuil au premier plan avec Adjani en arrière plan). Alors oui, Possession n’est clairement pas un film fantastique traditionnel, certains n’y verront qu’un métrage hystérique ne voulant rien dire, tandis que d’autres crieront au génie et partiront dans des explications de dizaines de pages. Certains détesteront l’expérience et d’autres adoreront. Ce qui est sûr, c’est que ce genre de cinéma fantastique exigeant se fait de plus en plus rare, voir inexistant aujourd’hui, où l’heure et uniquement à la stylisation, aux jumpscares et aux histoires expliquées en long en large et en travers. Une expérience à vivre.