Je n'avais vu de Miklós Jancsó que "Les sans-espoirs" qui fut plaisant à voir sans pour autant me laisser de grands souvenirs. Les choses ont cependant bien changé avec "Pour Electre" que certains considèrent comme l'un de ses longs-métrages les plus proverbiaux. Etrangement dénué de synopsis sur ce site, le film nous conte l'histoire d'Electre faisant face à Egisthe, celui qui a tué son père, le roi Agamemnon. Parallèlement, elle attend le retour de son frère Oreste que l'on annoncera comme étant mort. L'intrigue du fameux mythe d'Electre se déroule avec un réel panache dont l'on se plaît à vouloir connaître le fin mot de l'histoire de révélations en révélations. Pour autant, la mise en scène est bien éloignée de tout standardisme et de volonté de plaire au plus grand nombre.
"Pour Electre" est un film d'art mais d'Art avec un grand A. Ce qui frappe avant tout sont les décors dont la vivacité n'a d'égale que la beauté. On ne peut s'empêcher de penser au travail de Sergueï Paradjanov. Mais si celui-ci faisait l'éloge du statique, Jancsó lui préfère la toile en mouvement. Et nous le verrons très bien à chaque instant où se déplace la caméra dans des plans séquences à couper le souffle de beauté et de synchronicité (ça ne serait pas étonnant que Béla Tarr se soit grandement inspiré de Jancsó). Les arrière-plans sont occupés à chaque instant par des humains s'affrétant à des actes chorégraphiés qu'ils soient au sol ou dans le rôle de cavaliers. Ce n'est finalement pas un hasard que toute la construction soit du théâtre filmé puisqu'il s'agit d'une adaptation d'une pièce de théâtre. Jancsó aura réussi avec un talent peu commun à retranscrire l'essence même de l'oeuvre d'origine derrière sa caméra saisissant à chaque instant l'existence des êtres et biens, le tout dans un lieu fixe où jamais ne cesse l'inventivité de sa reconstruction. Du Paradjanov en mouvement.
Ainsi, l'histoire, riche et simple à la fois, s'enorgueillit de nombreuses symboliques, que ça soit le cheval (l'animal noble et gracieux), la nudité omniprésente (renvoyant à l'humain originel en harmonie avec la nature) ou encore cet inattendu hélicoptère rouge dont la couleur rouge renvoie à l'oiseau de feu. Mais cette intrusion moderniste pourrait aussi se voir comme la perpétuation du mythe à travers les âges jusqu'à nous atteindre. Et c'est bel et bien là que Jancsó a fait preuve d'un succulent culot. En 1974, le joug communiste était encore de la partie et ces appels incessants à la Révolution des sujets contre le pouvoir tyrannique de Egisthe n'est qu'une parabole de la dictature soviétique qu'il faut abattre pour embrasser des jours meilleurs. Y a-t-il eu scandale à sa sortie ? J'avoue ne pas m'être renseigné davantage mais ça n'aurait pas été étonnant.
"Pour Electre" est une pièce maîtresse du cinéma hongrois. Exigeante mais si gratifiante à en analyser tous les sens possibles. Beau et austère à la fois. Je pensais m'évanouir devant en le visionnant hier soir à minuit et demi. Il n'en fut rien.