Le Bon.
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le 23 juil. 2014
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[SanFelice révise ses classiques, volume 18 : http://www.senscritique.com/liste/San_Felice_revise_ses_classiques/504379/page-2#page-1/ ]
J'ai mis un long moment à m'habituer et à apprécier les westerns spaghetti. Il faut dire que j'ai été éduqué au cinéma avec les westerns classiques américains (en particulier Les Sept Mercenaires, un des premiers films que j'aie vu et un de mes préférés encore actuellement, mais aussi Rio Bravo ou Le Train sifflera trois fois). Du coup, pendant longtemps, j'ai, non pas rejeté, mais moins apprécié ces films italiens tout bizarres, aux personnages crasseux et immoraux.
Je commettais alors l'erreur de penser qu'il y avait opposition entre les deux genres. Que, d'un côté, le western classique était manichéen et opposait le gentil sheriff aux méchants bandits, là où, dans le western spaghetti, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Ce n'est qu'en approfondissant ma connaissance du cinéma américain que j'ai compris mon erreur. Depuis les années 50, déjà, le western américain n'était plus "classique" et ses personnages étaient loin des canons du héros traditionnel. Prenons Burt Lancaster et Gary Cooper dans Vera Cruz. Prenons John Wayne dans La Prisonnière du désert. Prenons Coups de feu dans la sierra, de Peckinpah.
Leone ne se positionnait pas forcément en opposition au cinéma américain. Il est peut-être plus question d'hommage, bien entendu, au mythe de l'ouest. Il y a un certain réalisme dans le film. Réalisme paradoxal de ces décors poussiéreux écrasés de soleil (je dis paradoxal parce que les films sont tournés en Espagne mais correspondent bien avec l'image du Mexique où le film est censé se dérouler). Réalisme dans l'accoutrement des personnages.
Ce réalisme va cependant voler en éclats lorsque la mise en scène transformera le film en une œuvre baroque. Leone s'amuse à une théâtralisation extrême des situations et du jeu des acteurs. Le sang est de ce rouge flashy que l'on retrouvera un peu plus tard dans les giallo (les gialli ?). Et les dimensions religieuse et symbolique du film deviennent assez vite évidentes.
Dimension religieuse ? Car les références religieuses abondent aussi dans ce film. Le Cavalier Solitaire apparaît vite comme un ange exterminateur indestructible (voir le combat final, où il semble résister aux balles, mais aussi son incroyable capacité à guérir à une vitesse impressionnante après son passage à tabac) venu rétablir une certaine justice. À l’inverse, la famille Rojo, et en particulier Ramon (incarné à merveille par l’excellent Gian Maria Volonté, un des acteurs les plus marquants du cinéma italien, que l’on retrouvera dans Et pour quelques dollars de plus, mais aussi Le Cercle rouge, de Melville), semblent renvoyer à une personnification du Mal. Il faut voir la scène apocalyptique où les Rojo mettent le feu à une maison et tuent tous ceux qui sortent. La façon dont c’est filmé renvoie directement à une sorte d’enfer sur terre. Le nom même de la famille (Rojo, Rouge en espagnol) peut faire directement référence à la couleur du sang et de la violence (voir le générique de début, qui se déroule sur fond rouge).
Le seul personnage féminin, Marisol, apparaît comme l’innocence persécutée et avilie. Retenue contre son gré par Ramon, qui est tombé amoureux d’elle, elle est séparée de sa famille et en particulier de son enfant pour pouvoir assouvir les bas instincts d’un tueur. Elle est au cœur de la seule scène vraiment émouvante et apporte une touche d’humanité au milieu d’un monde de dépravations.
Dimension symbolique ? Le film se déroule aussi dans un contexte politique particulier, celui d’un conflit opposant les USA et le Mexique. Et la guerre des clans qui divise le village est une version réduite et symbolique de la guerre transfrontalière. En effet, nous avons d’un côté les Baxter (nom typiquement anglo-saxon) et, de l’autre, les Rojo (Rodos en Version Française). L’emploi par le Cavalier Sans Nom de la même phrase pour désigner les deux guerres renforce encore le parallèle que l’on peut établir. Il y a bel et bien un aspect symbolique dans ce qui se déroule à l’écran.
L'une des grandes forces de Leone dans ce film, c'est sa capacité à effectuer un incroyable mélange des genres. Faut-il rappeler qu'à l'origine de ce film, il y a un film de sabre japonais, Le Garde du Corps (Yojimbo), d'Akira Kurosawa (film qui, lui-même, était un hommage au cinéma américain et au western en particulier) ? Leone ne s'est pas contenté d'en adapter l'histoire, il a inséré des détails qui renvoient aux film d'origine, des clins d’œil pourrait-on dire, comme l'armure.
Dans ce mélange entre films de sabre et western, Leone ajoute des personnages dignes de la Commedia dell'arte ou d'un roman picaresque délirant. Mais des personnages qui montrent aussi une vision désenchantée du monde, des personnages immoraux pour qui n'existe plus que l'argent et l'assouvissement des instincts.
Et puis, le bonhomme façonne son style. Pour une Poignée de dollars est le premier véritable film de Sergio Leone. Les péplums réalisés avant ça n'avaient pas grand chose de personnel, engoncés qu'ils étaient dans une sorte de cahier des charges trop strict pour laisser de liberté au cinéaste. L'ouest, c'est la liberté, et Leone commence à prendre les siennes. De nos jours, avec le recul, on se plaît à rechercher, dans ce film pas encore totalement abouti, les marques de ce qui deviendra plus tard Le Bon La Brute et le Truand ou Il était une fois dans l'ouest. L'étirement du temps, la place de la musique, les personnages complètement barrés, les cadrages innovants et non-conventionnels, la science du montage, l'humour macabre et cette sorte de jouissance qui se dégage de l'ensemble. Car, même s'il est trop bavard à certains moments, Pour une Poignée de dollars est d'abord un film qu'il faut savourer, un film conçu comme un plaisir coupable.
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le 3 juil. 2015
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