Poussières dans le vent est considéré, depuis sa sortie en 1986, et du propre aveu de son réalisateur, comme l'aboutissement de la première partie de sa filmographie. En compétition au Festival des 3 Continents en 1987, ce cinquième long-métrage s'inscrit comme le dernier volet de son cycle autobiographique, constitué également des Garçons de Feng-Kuei (1983), Un été chez grand-père (1984) et Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Du scénario original coécrit par Chu T'ien-wen, Poussières dans le vent s'inspire, cette fois-ci, des souvenirs d'enfance de l'écrivain et co-scénariste Wu Nien-jen, figure marquante de la Nouvelle vague Taïwanaise au côté d'Edward Yang et de Hou Hsiao-hsien.
"C'est avec Poussières dans le vent que je crois avoir atteint la maturité. […] J'ai enfin compris que lorsqu'on filme, que ce soit une personne ou une chose, il émane de ce qu'on filme un sentiment. Mon travail de cinéaste est simplement de saisir le sentiment qui émane de ce que je filme". Dans la continuité du précédent Un temps pour vivre, un temps pour mourir, Hou Hsiao-hsien dresse une nouvelle chronique intimiste douce-amère d'adolescents issus de sa génération, au milieu des années 60, dans un cadre purement romanesque. D'une rare subtilité, l'histoire d'amour entre les deux personnages principaux se caractérise, comme le laisse présager les propos tenus par le cinéaste, par son absence d'effets emphatiques et autre sensiblerie. Moment d'épure, la scène des adieux à la gare, avant que le jeune homme ne doive rejoindre sa caserne, se distingue par son émotion contenue et la qualité d'interprétation des jeunes acteurs.
Dernier chapitre de la tétralogie initiée trois ans plus tôt, le film fait également office de synthèse des thématiques chères à HHH, en contant, à l'instar des Garçons de Feng-Kuei, le récit initiatique sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Le scénario de Chu T'ien-wen et Wu Nien-jen trace en filigrane le portrait d'une jeunesse Taïwanaise, provenant des campagnes, attirée un premier temps par lumières des grandes villes. Confronté à la dure réalité de la capitale, à son arrivée à la gare, A Yun se fait voler sa valise avant qu'A Yuan n'intervienne, les deux amis n'ont d'autres choix que de s'adapter à cet environnement inconnu. Des difficultés de cette jeunesse exilée qui rappelait déjà en 1983 le Néoréalisme italien d'un Luchino Visconti, HHH rend cette fois-ci hommage dans Poussières dans le vent au chef d'œuvre de Vittorio De Sica, avec le vol de la moto d'A Yuan.
Au rythme des allées et venues des deux personnages principaux, de leur village d'origine à Tapei, le train fait figure de leitmotiv. Dès la scène d'ouverture, quand la locomotive parcourt les paysages escarpés et luxuriants à travers les différents tunnels, aux scènes situées dans les gares, le train incarne autant la métaphore du passage à l'âge adulte des protagonistes, que le dernier témoin de souvenirs et d'un chagrin d'amour perdus dans un passé à jamais révolu, telles des poussières dans le vent.
Déjà évoqué dans Un temps pour vivre, un temps pour mourir, et en attendant sa future trilogie (La Cité des douleurs, Le maître de marionnettes et Good Men, Good Women), les fractures de l'Histoire moderne sino-taïwanaise impriment une fois encore, par touche, et sur un ton toutefois plus léger, ce cinquième long-métrage de HHH. Spectateur du climat politique, le récit de Poussières dans le vent mentionne le cas de l'île de Kinmen, et des conséquence de sa grande proximité avec la Chine continentale, avec l'épisode des pêcheurs, provenant de la Chine communiste dont le bateau s'est échoué, recueillis par les militaires.
Avec Poussières dans le vent, film intelligent, subtil, porté par des acteurs au naturel saisissant (que l'on croirait sorti de chez Robert Bresson), Hou Hsiao-hsien s'affirmait comme l'un des auteurs emblématiques du cinéma mondial.
http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/11/poussieres-dans-le-vent-hou-hsiao-hsien.html