Le lexique du temps
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
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Je t’écris cette lettre tandis que tu es dans tes draps pâles, livide de maladie. Alors que je te regardais, souffrante, les lèvres gercées, les paupières gonflées, secouée par quelques nausées, abattue par tes cheveux disparus, je me suis dit que tu avais le droit de savoir. Tu as le droit de savoir ma petite, que je savais. Je savais tout. J’ai vu ton agonie, j’ai vu ta mort, j’ai vu ta fin. J’ai tout vu défiler sous mes prunelles impuissantes, déboussolée alors que je ne te connaissais pas encore mon ange. Si je t’écris aujourd’hui, c’est pour que tu me pardonnes. Ma chérie, tu peux m’en vouloir, tu peux me haïr, je comprendrais, après tout, ne suis-je pas un monstre d’avoir créé en connaissance de cause une petite fille destinée à peiner ? Cette haine je l’ai vu, je l’ai entraperçu sur la figure de ton père lorsque je lui ai tout avoué et que ses iris se confondaient de larmes et de colère. Il t’aime tellement tu sais, ne pense jamais qu’il t’a abandonné. Je crois que pour lui, savoir, s’apparente à un déchirement permanent quand il te regarde, toi qui a ses yeux, toi qui a sa couleur de cheveux, toi qui a le visage de ta mère. Mais si, comme moi, il avait su dès le début, t’aurait-il comme… annulé ?
Ma petite puce, je n’ai pas pu me résoudre à t’effacer, et par ailleurs, le pouvais-je vraiment ? Décider de ne pas te concevoir, c’était accepter ta disparition entière de mes souvenirs, de ma vie alors que j’avais déjà eu le temps de t’aimer et souffrir de ton absence. Quelle droit avais-je de retirer de ce monde ta petite voix fluette, tes sourires radieux, tes larmes adolescentes, tes babillements enfantins, tes rires éclatants ? Ne te méprends pas sur mes positions, si là, aujourd’hui ou demain tu me demandes d’abréger ta douleur, je le comprendrais. Je ne dis pas que j’aurai la force ou le courage de le faire mais je comprendrais. Là… ce n’est pas pareil. Je ne pouvais décemment t’empêcher d’exister. Tu sais ma Hannah, ta perte me tuera sûrement, mais si tout devait recommencer, jamais je ne voudrais ne pas t’avoir connu. Et toi, si avant de naître on t’avait donné le choix, aurais-tu dit non à la vie ? J’ai répondu à cette question pour toi, j’espère ne pas m’être trompée et je ne crois pas. Tu avais le droit de vivre et aujourd’hui tu as forgé ta trace, ton souvenirs dans mes nerfs dévastés et je te jure que tu vivras. Tu vivras pour toujours mon enfant, dans le Temps.
Parce que le temps, à l’image de ton prénom, n’est qu’un palindrome. Nous tournons, nous recommençons et je ne pouvais pas sectionner un morceau du cercle de peur de tout briser. Tu te rappelles ce que je t’ai dit quand tu étais toute petite, au bord de l’étang tandis que tu étais vêtue de ton adorable imperméable trop grand pour toi et dont la brillante matière couinait à chacun de tes mouvements ? Que tu es inarrêtable. Et après, quand je te regardais courir dans l’herbe verte avec tes petites bottes en caoutchouc bleu buttant contre tes mollets, je comprenais qu’en effet, tu es une petite lueur qui file, qui tournoie, et qui brillera toujours. Hannah… H-a-n-n-a-h, h-a-n-n-a-H. Tu portes en toi l’infini, l’éternel recommencement, ce pourquoi nous sommes tous là.
Avant de me laisser réchauffer par les bras si réconfortants, si délicats de ton père pour la première fois, je lui avais demandé ce qu’il aurait fait s’il avait le pouvoir de voir toute sa vie jusqu’à sa fin. Il m’avait répondu qu’il dirait plus souvent ce qu’il ressent. Peut-être aurais-je dû lui avouer à ce moment-là, où il portait la force nécessaire à ton acceptation. Mais je pensais qu’il approuvait ainsi tacitement. Oh je ne me suis pas trompée, jamais, je le sais, jamais il t’aurait empêché d’exister, mais c’est que le coup est trop dur pour lui, et il fallait trouver un coupable. La coupable c’est moi. Mais je suis juste coupable de savoir ce qui ne peut pas être arrêté. Le défaut du rond est son immortalité, mais c’est aussi sa plus grande beauté et je crois que je t’ai rendu éternelle ma fille.
Je t’aime tu sais, follement, désespérément. Je t’aimais déjà quand tu n’étais que mes souvenirs du futur, et je t’aimerai encore quand tu seras ma mémoire du passé. Tu es une si jolie fille, si douce, si intelligente, si parfaite. Même dans la maladie, même alitée, ravagée, tu es la plus belle chose que la terre est jamais portée. Quand tu courrais partout, quand tu éclatais de ton rire qui résonne encore dans ces murs comme une poussière d’étoiles enluminant chaque chose, quand tu connaissais ton premier amour et que tu brisais ton premier cœur, quand tu me regardais droit dans les yeux avec cette lueur d’intelligence venue de ton père pour me dire que tu m’aimes, et d’autre fois avec cette fragilité bouleversante pour me dire que tu me détestes, quand tu venais me voir pour t’aider aux devoirs avec ton esprit curieux, quand tu jouais au cow-boy avec ta petite bouille magnifiée de ton sourire à pleine dents, quand tu t’effondrais dans mes bras avec toutes les peines que peut contenir ton petit corps splendide, quand simplement tu parlais, bougeais, respirais, je me disais que tout en valait la peine. Ça valait la peine que je me brise dans ce couloir quand on m’a tout annoncé, ça valait la peine de sentir que chaque jour on m’arrache un bout de ma carcasse en te voyant te dégrader. Mais pour toi ma chérie, est-ce que ça valait la peine ? Regrettes-tu tes joies, tes colères, tes peurs, tes réussites, tes défaites, tes sentiments et émotions parce que maintenant tu expires en crachant tes glaires brulant de sang, expectorant ton mal piquant, violent ? Si oui, si tu penses que ça ne valait pas la peine, je me mets à genoux et je te présente toutes mes excuses. Si oui, pardonne-moi d’avoir cru que le bonheur que nous allions connaître devait être vécu. Si oui, acquitte moi alors que je t’ai tué, je t’ai torturé, par un mauvais calcul. Après tout, c’était ton père le scientifique, peut-être étais-je trop sentimentale, trop romancière.
Mais si tu es d’accord avec moi ma fille, vis. Vis jusqu’à ton dernier souffle. Crois-moi tu seras belle jusqu’à la fin. Tu es le plus beau trésor et tu seras toujours là. Si je pouvais me tuer pour te donner ma vie, crois-moi que je le ferai. Et pour toujours tu fouleras l’infini de mon amour.
Je t’aime.
Ta mère, Louise Banks.
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le 13 sept. 2017
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