Premier Contact, un film de SF intelligent et efficace

Premier contact est un film d'un raffinement et d'une intelligence rare.
Ce que j'ai le plus apprécié est le fait que les concepts linguistiques et philosophiques énoncés dans le film ne sont pas des simples faire valoir de l'histoire uniquement présents pour faire avancer l'intrigue, mais bel et bien le cœur même du propos. Tout le film tourne autour d'une théorie linguistique qui dit que le langage et la langue influent notre perception du monde et les concepts que nous pouvons comprendre. Le langage alien à décoder est ainsi l'enjeu narratif principal, mais aussi l'enjeu philosophique qui va changer radicalement le monde des personnages.


La mise en scène est sobre, élégante, dépouillée, proche de celle d'un ( nouveau monde ). Ce type de mise en scène, si poétique, dans le genre SF, est tout à l'honneur de Denis Villeneuve. Le film prend vraiment son temps sur la deuxième et la première partie, avec un rythme lent, contemplatif, tirant en longueur les scènes à l'extrême. Cette dilatation du temps nous plonge totalement dans le regard subjectif de la linguiste et nous imprègne de sa perception du temps, à elle, mettant en relief ce qui l'a avant tout marqué. Et nous fait nous plonger complètement dans l'histoire : rarement j'ai été aussi immergée, aussi « dedans » toute entière dans un film. Le travail sur l'ambiance et l'immersion est impressionnant. Avant de rencontrer les aliens, on est angoissé autant que le perso de Amy Adams, et la scène où on les voit pour la première fois est magistrale dans sa capacité d'empathie et sa sensibilité pour nous transmettre ce mélange d'excitation, de peur et de curiosité. Quand on voit ce film, on a la sensation d'être confronté à plus grand que soi, à quelque chose qui nous dépasse et qui est au delà de nous, c'est saisissant.


A ce titre, je me dois de parler de la photographie sublime du film. La palette colorée est pâle, oscillant autour de couleurs froides et de camaïeu de gris. Les seules présentes de couleurs chaudes se feront à la toute fin du film, mais j'y reviendrai plus tard. Dès que nous avons affaire aux aliens ou aux extérieurs, la photographie est toute en désaturation et en ambiances entre chien et loup qui viennent souligner l'ambiance oppressante du film. La présence très marquée de fumées et de brumes donnent un charme mystérieux et irréel au film où même un simple champ dépouillé devient magnifique et onirique. Il y a aussi un immense travail sur le gigantisme, avec des extérieurs immenses et vides, un vaisseau alien d'une taille incommensurable dont même l'intérieur ne semble pas être étriqué. A l'inverse, les plans en intérieurs ; surtout dans le bunker de l'armée, sont beaucoup plus chirurgicaux et aseptisés. Froids, lisses, rustres, bruts, ces ambiances sont celles ci bien plus brutales, réalistes, on n'est plus dans l'onirisme et le poétique. Les espaces y sont aussi bien plus resserrés, et la présence des murs et de plafonds bien marqué, comme pour souligner le manque d'ouverture d'esprit de la race humaine. Il y aussi un grand travail sur la courbe qui s'oppose à la ligne droite, Courbe étant présente bien plus à l'extérieur et pour le monde des aliens : le champ est rond, le vaisseau est courbe, les aliens sont ovales, même leur langage est rond. A l'inverse, la maison de Amy, avec ses grandes fenêtres est tout en lignes droites, le bunker de l'armée est aussi bien plus délimitée, rectiligne, avec des lignes de fuite très marquées qui enferment les personnages. Plusieurs symboliques peuvent bien sûr être visibles, et je vous laisse me dire votre interprétation dans les commentaires.


Au delà de l'aspect visuel, la musique joue aussi un grand rôle dans l'immersion, avec ses infras basses et ses sons longs, lancinants, marqués par des notes graves répétées, qui donnent une impression à la limite entre l'effroi et l'émerveillement. On est happé par ces sonorités mystérieuses d'outre tombe, et le film aurait sans doute beaucoup perdu de sa prestance sans ça.
Au delà de sa qualité esthétique et métaphorique, le film jouit assi d'une très bonne écriture. Ecriture de personnages humains, réalistes et facilement accessibles, d'abord. L'identification peut être faite facilement car les réactions et décisions des persos sont crédibles, et surtout humaines, dictées parfois par la peur, par la curiosité ou par l'amour. La grande présence de sentiments fait que ce film est profondément réaliste dans son traitement. Je sais que ça peut paraître étrange de parler de réalisme pour de la SF, pourtant c'est le cas. J'étais ravie qu'on ne sombre pas dans le cliché des militaires bourrins et un peu concons qui appliquent des ordres, ou de la nana scientifique très forte auquel tout le monde ne va avoir de cesse de rappeler combien ce qu'elle fait est exceptionnel pour une fâââme. Même le militaire chinois qui aurait pu être une caricature est aussi tellement humain dans ses réactions qu'on ne peut que comprendre ses décisions.
Beaucoup de suspens et de tension, ensuite. La narration du film est vraiment de qualité, et l'on passe de grands moments de doutes sans savoir si les personnages réussiront ou non leur quête. On ne les sent jamais à l'abri de quoi que ce soit, et le péril et le suspens en sont d'autant plus importants. A ce titre la bande annonce est très bien car elle dévoile très peu des enjeux du film, laissant tout le suspens pour le film.


Enfin, j'ai vraiment apprécié de la part d'un film américain que, même si ça se passe sur le sol américain, les enjeux soient internationaux et présentés comme tel. H24 des nouvelles tombent du monde entier, et c'est le sort de la planète qui est en jeux, pas le sort des blancs ou des américains comme c'est hélas souvent le cas. J'ai rarement vu dans un film de SF une aussi grande volonté d'ancrer le film sur une échelle planétaire, et c'est tout à son honneur. Ce serait d'ailleurs hyper intéressant d'analyser ce film sur un plan sociologique comparativement à des films du genre des années 90 et 2000 pour voir combien la représentation du monde a changé.
Ce qui fait que je considère ce film uniquement comme un bon film et non comme un chef d’œuvre, c'est sa fin. Et là, Je vais devoir spoiler : spoil !


La toute fin du film avec son twist tient la route scénaristique ment et est une jolie conclusion inattendue au principe linguistiques et philosophiques présentés dans le film. Rien à dire donc sur le plan narratif. De plus, le film gère bien les questions de temporalité, ce qui n'est pas évident quand on parle de voyages temporels. Tout est cohérent et crédible à ce niveau là, aucune faute de mauvaise gestion.


Mais là où le film jusque là économisait ses effets et était dans un rapport réaliste et assez terre à terre aux choses, la fin s'égare en mettant des tonnes de sentiments sans plus aucune retenue et subtilité. Même la mise en scène diffère, et on se perd sur 5 bonnes minutes de plans pathos surexposés de la famille idéale et parfaite qui raconte des histoires au lit et joue au bord du lac... De même, le rythme lent et contemplatif s’accélère d'un coup sans aucun crescendo, et le montage parallèle du futur et du présent lorsqu'elle appelle le militaire chinois est assez maladroit et cliché. Ça aurait fonctionné si l'instant avait été très épique et intense, mais ce qu'il se passe ne justifie pas à mon sens d'user d'une mise en scène si forcée et spectaculaire pour si peu. Je dois vous avouer que cette partie finale est tellement différente au niveau du ton, de l'approche et du rythme que j'avais même l'impression de voir tout d'un coup un film écrit par une personne différente.
Enfin, mon plus gros grief sur cette fin reste le fait que les enjeux sont expédiés et résolus en 30 secondes, et que la manière dont ils se résolvent... Personnellement j'y crois pas. Parce que je vois mal un processus de guerre international s'arrêter si vite et avec si peu d'explications, de même que j'ai du mal à croire à cette grande fraternité internationale qui agirait si rapidement, sans discuter ni prendre le temps de poser les choses. Le film était très réaliste jusque là, et peut être trop, pour que je crois à cette fin digne d'un conte de fée utopiste


A titre personnel, et c'est là tout à fait subjectif, que mon humble point de vue toussa toussa, j'ai beaucoup de mal avec la morale de fin qui place la vie au dessus de tout comme une valeur sacrée. On vit dans une société et un temps où l'on n'écoute pas les personnes qui ont une vie malheureuse et souffrent au quotidien, et pour qui vivre est un enfer. Vu ce que va endurer la fille, je ne sais pas si moi j'aurais fait le choix de la vie avant tout, et surtout je trouve que c'est très violent pour ceux qui vivent ça de leur balancer que « ça vaut le coup quand même de vivre » si eux ne le ressentent pas. Mais encore une fois, c'est une simple question de point de vue.
Premier Contact est « le » film de SF de l'année.


Oubliez 10 cloverfield lane et Midnight special et régalez vous devant la richesse esthétique, profonde et intelligente de premier contact. Dommage que la fin n'aie pas la qualité d'écriture et de poésie du reste, sinon on tenait pour moi un chef d'oeuvre, qui reste hélas au simple stade de très bon film.

Lola_Dolores_Ca
7
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le 1 févr. 2017

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Lola_Dolores_Ca

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