Intéressant pour une approche en néophyte mais de faible valeur même dans ce cas. Beaucoup d'enjeux flagrants sont ignorés ou balayés. En traquant cette obsolescence programmée à l'échelle du système, on pourrait aboutir à un renoncement aux innovations, à une diminution drastique des recherches non essentielles ; et probablement à des régulations voire intrusions. Déjà Latouche le pape des décroissants nous les suggèrent, en parlant de contrôle des produits y compris après leur vente. Il souhaite donc la dépossession des consommateurs et la surveillance des citoyens ; mais plus gênant pour sa posture de chevalier blanc, il prend le relais de ses ennemis ! Par ses préconisations il rejoint Bernard London dans sa guerre au libre-usage pour le redressement et le bien communs [l'obsolescence' par obligation légale comme méthode de relance pendant la Dépression des années 1930] et plus généralement ces industriels arbitrant selon leurs [seuls] plans le temps de notre usage [comme Bruce Stevens motivé par une idéologie commerciale – la perspective maléfique entraînant toutes les aberrations et fautes morales – comme les décharges en Afrique].
Des solutions positives sont soufflées en conclusion avec ces matières et produits recyclables. Michael Braungbart apporte l'idée la plus apparemment estimable et solide avec ses tissus biodégradables et selon lui comestibles, le tout aligné sur les cycles naturels. Mais il y a bien plus saillant que ces mesures plus ou moins grandes que le désespérément moche Demain pourrait reprendre à son compte. C'est l'idée de répercuter les 'vrais coûts' de production (notamment du transport) afin de rendre obsolète l'obsolescence programmée ; Serge Latouche sait se faire romantique pour alléger cette rude promesse et commet un laïus à propos des 'humanités' comme richesses à développer.
Car en attendant la saine révolution, le documentaire ne donne aucun aperçu de solution concrète pour les masses (ni au demeurant pour l'individu). Que faire de l'économie et des emplois ? Ce film lie l'obsolescence à la croissance et en fait la raison du succès économique de l'Occident dans les années 50 ; il semble reconnaître une part bénéfique mais l'assimile à la société de consommation nécessairement à la dérive. Quelles anticipations, quelles alternatives ce film préfère passer sous silence ou n'est pas en mesure de concevoir ? Que faire de la population – réserver l'emploi à une minorité ? Le luxe ordinaire des pays développés à quelques élus ?
Cet 'angle' mort abyssal signe l'absence de neutralité du film, anti-consumériste et anti-croissance (et anti-obsolescence programmée – on croirait parfois anti-obsolescence tout court, comme d'autres se maintiennent anti-cancer car après tout, certains remèdes fonctionnent contre certains cas, alors si l'ensemble des cancers ne sont pas terrassés c'est que l'industrie voire le citoyen-consommateur mi-dupé mi-complice sont de mauvaise foi). Si on prend les implications du discours porté par le film au sérieux et que d'autres enjeux qu'environnementaux font aussi partie de notre lecture ; on peut voir là-dedans une combine de capitalistes établis et d'établis tout court (dont ce William Philips serait le porte-parole manifestement candide) pour maintenir leur domination, limiter l'accès du commun des mortels aux progrès ; puis simplement contrôler la meute humaine et lui enseigner une bonne parole laïque.
Finalement, si on s'en tient aux conséquences, Prêt à jeter est d'une douloureuse ironie ; il présente des exemples historiques mais semble vouloir faire.. tourner la roue à l'envers ! La citation de L'homme au complet blanc, où un inventeur est poursuivi par les patrons et ouvriers jusqu'à finalement ne pas présenter au monde sa création, est comparable à la véritable histoire des bas en nylon de Dupont, trop résistants d'où leur évacuation du marché. Mais en quoi le film est-il du côté de l'invention ou travaille-t-il à l'amélioration de la technique ? Peut-être celle-ci est comme la Terre : une réalité finie qu'il s'agit de troubler le moins possible, en s'en tenant à la meilleure recette. Reste à définir celle-ci et surtout ne pas se tromper – ou savoir dissuader les foules de s'ennuyer des fabrications standardisées des produits fournis par les corporations homologuées (et neutres en carbone), à plus forte raison de les contester (ce qui reviendrait à plaider pour cette diversité futile et l'obsolescence esthétique qui caractérisent notre ère d'abondance et d'irresponsabilité – et de tromperie 'programmée').
https://zogarok.wordpress.com/2020/10/28/pret-a-jeter/