(À partir du 4ème paragraphe, je révèle certains éléments importants de l'histoire. Même si je considère que l'essentiel de ce film ne se trouve pas dans la trame, qui est assez évidente, je préfère mettre en garde pour les paranoïaques du grand méchant Spoil).

L'entièreté du film baigne dans une douceur qui, avec des yeux contemporains, est assez déconcertante. Le temps y est, non pas vraiment dilaté, mais tout simplement à échelle humaine. Or, habitués que nous sommes à la compression de la chronologie dans le cinéma, ce film peut paraître artificiellement lent, alors qu'il n'en est rien.

Le mot d'ordre d'Ozu semble être le respect : pour ses personnages et leur rythme de vie, pour les traditions nipponnes, pour la civilisation occidentale aussi. Témoin plus qu'auteur, Ozu nous offre délibérément une histoire on ne peut plus simple et sans fioritures, pour se concentrer sur ce qui lui est essentiel : la minutie de la mise en scène, où chaque plan est fait pour magnifier l'espace et les personnages. Ainsi tous les plans moyens dans la maison des protagonistes profitent des multiples pans de murs et ouvertures pour donner une belle perspective à l'espace, magnifiée par l'emploi d'un unique objectif 50mm.

Et qui dit détail de la mise en scène dit petits éléments discrets distillés durant toute la durée de film. Chaque plan ayant le temps de s'installer, une multitude d'indices apparaissent sans qu'il y ait besoin de faire d'énormes zooms ou recadrages pour les mettre en évidence, à l'image de la grammaire hollywoodienne. Cela tient principalement au code vestimentaire et à l'architecture d'intérieur des lieux, qui reflètent en grande partie le caractère des personnages.

La protagoniste et son père sont ainsi plongés dans un quotidien traditionnel et rural, autour duquel gravite et s'installe progressivement un univers plus occidental. Et là où on pourrait s'attendre à un conflit entre ces deux modes de vie, le réalisateur nous offre au contraire une vision harmonieuse de leur cohabitation et de leur mariage : car il s'agit bien d'unir ces deux mondes dernière le mariage de Noriko. Et il n'est sans doute pas innocent qu'un tel sujet soit abordé si peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale.
Lorsque Noriko et son père partent visiter Kyoto, ils sont amenés à discuter à l'hôtel. Le père insiste alors sur l'importance que sa fille se marie. Dans les faits, il évoque le fait que sa fille doive jouir de sa propre vie et ne peut s'occuper éternellement d'un homme vieillissant. Mais en poussant un peu l'analyse, on peut également y voir 2 enjeux centraux : à la fois la nécessite de l'éternel recommencement dans le respect de la tradition du mariage (j'en veux pour preuve qu'il tienne dans ses mains le livre "Ainsi parlait Zarathoustra", que le réalisateur met en valeur l'air de rien), mais aussi le besoin d'aller de l'avant et d'accepter le progrès (et donc de vivre avec l'occidentalisation rapide que connait alors le Japon).

À voir si on est en forme certes, histoire de ne pas piquer du nez, mais à voir tout de même, tant le portrait de ce Japon du milieu du siècle dernier y est précis, doux et étonnamment agréable, sans manquer d'un léger humour envolé.
Galderon
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le 5 mars 2014

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