Le portail et l'intime
J’entends déjà d’ici les procès intentés au dernier film de Sofia Coppola, comme pour les précédents Les proies ou On the rocks : trop superficiel avec ce souci obsessionnel de l’apparence et...
Par
le 20 déc. 2023
45 j'aime
1
Voir le film
Sofia Coppola est adepte des récits, je ne dirais pas, "d'émancipation féminine" (expression un peu canonique qui brasse beaucoup d'air - dernièrement, nous avons Barbie ou Poor things) mais de ce qui lui précède: l'enfermement ; qu'il soit, d'ailleurs, imposé (Virgin Suicides, Marie-Antoinette) voire choisie (Lost in translation, Les proies). Elle choisit toujours de parler de personnages féminins coincés quelque part entre la soumission (à des bourreaux, là, en l'occurrence, Elvis Presley) et le désir refoulé de se libérer des institutions dans lesquelles elles sont prises (la famille, le mariage, plus globalement le patriarcat - on peut reprocher à Coppola cet entre-soi blanc, bourgeois, ce regard toujours tourné sur un monde privilégié... mais c'est un autre débat ?). Une question qui me taraude quand même au moment où j'écris ces lignes : d'où parle la réalisatrice? De cet espace sclérosé, d'une tour d'argent - où l'opulence des décors (la demeure d'Elvis) contraste avec une mise-en-scène (toujours) minimaliste: plans fixes, gros plans sur les visages, plans d'ensemble où la toute petite silhouette de Priscilla semble coincé dans un tableau d'Edward Hopper qui l'aliène. C'est dans cet univers-là qu'est née Sofia Coppola. Ses films ne sont pas révolutionnaires, mais ils ont le mérite de parler d'institutions, de les critiquer.
C'est donc avec regret que je constate (comme avec son précédent volet) qu'il y manque de vie (pensons à la poésie mystique de son premier film !) - l'impression deux heures durant d'observer de jolies peintures qui frôle l'académisme (on sait pourtant la potentialité de son style). Il y a çà et là de bonnes choses, les deux acteurs - entre son effacement à elle et sa prestance à lui, qui parvient à faire d'Elvis une espèce de fantôme de lui-même, avec tout ce que cela implique de tics, timbre de voix, accent, etc. Priscilla est quant à elle introduite comme une ardoise vierge : une (très) jeune fille (elle a 15 ans, il en a 24) encore pouponnée aux contes de fées qui va être modelé par le regard de cet homme. Cailee Spaeny incarne ce qui s'apparente à une poupée mutique. A ce titre, le personnage d'Elvis est réduit à son plus simple appareil, celui d'un homme à qui la célébrité mondiale ne vient pas faire d'ombre, permettant la mise en lumière de ses moindres défauts d'homme banal, abusif, intimidant (à l'image de la taille de Jacob Elordi), écrasant. Il l'objectifie au point de la déshumanisation. Elle n'est qu'un totem dans sa vie, un trophée, un corps utilitaire à mettre en valeur (habille-toi comme ci, maquille-toi comme ça) : il n'a visiblement pas de relations sexuelles avec elle, sauf avant qu'elle tombe enceinte. Son corps est réduit à ses propriétés procréatrices, à ce statut de femme qui lui est imposé au sein du couple et dans lequel elle est un peu plus enfermée à mesure que les années défilent.
Coppola ne juge pas son.ses personnage.s. Mais à force de pousser dans le minimalisme, ça en devient vétuste. Il manque à son film de la saveur, de l'énergie, un semblant de vitalité. Elle semble redoubler d'effort pour se faire toute petite à côté d'eux, au point de se tenir le plus loin de leur intériorité : il en ressort qu'on ne ressent rien pour eux, ou avec eux. Peut-être que ça manque d'abrasivité ? De cette radicalité qui peut faire défaut à Sofia Coppola tant elle a tendance à flotter autour de ses sujets, à en relativiser les contours. Il demeure, moindre, la mélancholie contemplative de cette femme-jouet que le père a donné au mari, lui cédant en même temps un droit sur ses rêves, ses désirs, ses volontés.
Créée
le 5 févr. 2024
Critique lue 16 fois
D'autres avis sur Priscilla
J’entends déjà d’ici les procès intentés au dernier film de Sofia Coppola, comme pour les précédents Les proies ou On the rocks : trop superficiel avec ce souci obsessionnel de l’apparence et...
Par
le 20 déc. 2023
45 j'aime
1
Il y a suffisamment de détracteurs – parfois assez violents – du cinéma de Sofia Coppola pour que nous précisions d’emblée que nous n’en faisons absolument partie, et que nous avons toujours, même...
Par
le 5 janv. 2024
39 j'aime
5
On l’a vu récemment avec Napoléon ou Maestro : le rôle des épouses intéresse de plus en plus le cinéma américain. Influentes, indispensables et laissées à l’écart des projecteurs de l’Histoire, elles...
le 8 janv. 2024
37 j'aime
2
Du même critique
Quand t'as treize ans et que t'es mal dans ta peau, une série comme Skins acquiert rapidement le statut de petite révolution dans ta vie télévisuelle, et dans ta vie en générale. D'ailleurs, c'est la...
Par
le 14 juin 2013
169 j'aime
21
Ça fait quatre jours, moins de quatre-vingt-seize heures, et je ne m'en suis toujours pas remise. Oui, j'ai peur, parce qu'il faut que j'écrive à quel point j'ai aimé The Last of Us. Je dois,...
Par
le 26 août 2014
130 j'aime
41
Le hic avec Scary Movie, c'est qu'en parodiant Scream, il parodie une parodie ce qui, forcément, conjure vers une caricature grotesque et grasse d'un genre qu'avait déjà fait renaître Wes Craven en...
Par
le 19 juin 2014
73 j'aime
13