S’il ne peut résister à quelques élans feel good faciles qui martèlent l’idée d’un rassemblement de personnes en marge pour, le temps d’une chanson, faire communauté, Priscilla vaut surtout pour l’oxymore qu’il compose une heure et demie durant : capter des corps habillés d’étoffes diverses et multicolores dans des chorégraphies au contact de décors rugueux, hostiles, aussi massifs et inhospitaliers que l’est le désert australien. Les villages traversés, les gargotes dans lesquelles se produisent les artistes en étapes sont autant de mises à l’épreuve qui leur rappellent la nécessité de s’imposer par la danse ou par la gouaille – répondre à une provocation par une autre, plus vulgaire et blessante encore.
Le réalisateur conjure le film à thèse axiologique en représentant les trois travestis comme des individualités singulières contraintes de cohabiter dans un bus ; le premier est exubérant, le deuxième nostalgique et aigri, le troisième enfin lancé dans une quête amoureuse et familiale. L’intérêt réside alors dans la conversion d’une trajectoire individuelle en odyssée collective, d’abord à l’échelle du bus, puis à l’échelle des contrées traversées et donc de l’Australie. Si le rejet s’exprime à de nombreuses reprises, il semble moins intéresser le long métrage, soucieux de montrer l’acceptation du public tantôt immédiate tantôt par paliers ; aussi révèle-t-il les difficultés des travestis à s’accepter eux-mêmes et à s’épanouir. La route devient errance intérieure, thérapie que le regard altruiste d’un fils ou d’un vieil homme saura interrompre. Nous donner à voir le show et ses coulisses nous rend à la fois spectateurs et confidents ; la démarche esthétique entreprise par le film correspond donc bien à la construction d’un point de vue humaniste parce que complet, au-delà des apparences au demeurant somptueuses – les costumes ravissent de bout en bout, récompensés d’un Oscar.
Priscilla s’affirme telle une œuvre aussi excessive et vibrante d’humanité que ses personnages. Une réussite.