Cellules grises
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le 18 févr. 2023
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Les prisons et leur microcosme. Un monde à part, qui a fasciné plus d’un réalisateur et a donné lieu à plus d’un classique, ouvrant un genre sur la planète cinématographique : le film de prison. Un genre qui, tout à la fois paradoxalement et logiquement, ne tarde pas à se trouver corrélé à son contraire : le film d’évasion…
Alberto Rodríguez, réalisateur du très remarqué La Isla mínima (2015), investit ce topos et, secondé, en tant que co-scénariste, par Rafael Cobos, situe son intrigue dans la phase de transition très intéressante qui suivit la mort de Franco (4 décembre 1892 - 20 novembre 1975), marquant la fin de la dictature militaire qu’il avait fait régner en Espagne pendant près de quarante ans, depuis 1936. En 1977, donc, alors que le pays découvrait les charmes de la démocratie, les prisons restaient comme figées dans l’ère précédente, soumises au bon vouloir et à la violence de leur directeur et des surveillants. Après un gros travail de documentation et plusieurs entretiens avec d’anciens détenus, les deux co-scénaristes fusionnent les récits d’évènements survenus dans la prison Modelo de Barcelone et dans d’autres établissements espagnols et les recentrent sur le lieu de détention catalan.
Émergent de cette opération de tissage et de resserrement les figures de Manuel (incarné par le très charismatique Miguel Herrán) et de Pino (Javier Gutiérrez), son compagnon de cellule. Le premier, comptable, est accusé d’un détournement de fonds bien supérieur à celui qu’il reconnaît, quand le second, croupissant depuis plusieurs années déjà dans la prison Modelo, semble ne plus croire en grand chose ; si ce n’est en ses livres, fidèles compagnons qu’il consent toutefois à louer, mais chèrement. Ce personnage est l’occasion d’un bel hommage aux héros de Fahrenheit 451, qu’il s’agisse du roman de Ray Bradbury (1953) ou du film (1966) qu’en conçut François Truffaut. Cet hommage est double et se manifeste à travers des scènes aussi bien de livres brûlés que mémorisés, lorsque Pino, sanctionné et torturé au cœur de la prison, ne résiste à ces traitements qu’en s’enfermant doublement lui-même dans la récitation à voix haute de cesdits livres. Superbe rappel, au passage, de l’inaltérable force de résistance dont sont constitutivement porteurs les livres. Et sans doute, plus largement, toute œuvre d’art.
Le directeur de la photographie Álex Catalán crée une image souvent très sombre, allant des bruns à l’obscur, pour ne devenir plus lumineuse que lors des quelques scènes d’extérieur, mais qui restent dans des tons ocres ou sable, donc explorant toute la gamme chromatique de la terre et du sol. La musique, un peu trop constante et illustrative, de Julio de la Rosa, accompagne le parcours de Manuel au sein de la prison : son arrivée, sa perte de naïveté, sa montée en conscience et en grade, son rattachement au collectif COPEL, un syndicat de prisonniers non politiques, soutenu par quelques avocats engagés et militant pour leur amnistie. Dans cet univers rude et essentiellement masculin, on apprécie finalement presque autant que Manuel, lorsqu’il se rend au parloir, la présence très ponctuelle de Lucía (Catalina Sopelana), rafraîchissante et douce comme une pluie d’été sur les sols desséchés.
Sans atteindre l’intensité crucifiante de l’impressionnant Compañeros (2019), d’Alvaro Brechner, Alberto Rodríguez capte toutefois son public et le garde captif sur son île carcérale, dans l’attente haletante d’un dénouement qui ose se faire heureux.
Critique également disponible sur Le Mag du Ciné : https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/prison-77-alberto-rodriguez-avis-10058530/
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le 8 mai 2023
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