Avant de commencer cette critique, je dois parler un tout petit peu de moi. J'ai eu une chance rare. J'ai vécu jusqu'à mes 18 ans dans un petit village de 60 habitants des Hautes-Pyrénées. Ce dont parle ce film, ça me parle un peu, même si je n'ai pas creusé autant que Depardon.
Et ma première réaction quand le film s'est terminé était d'être outré du traitement du monde paysan qui en est fait. Puis j'ai regardé aussi les bonus, où Depardon explique son approche. Et j'ai compris. Mais il n'empêche, même si c'est subjectif, même si je n'ai pas l'expérience photographique d'un Depardon, je n'aurais jamais fait ce film comme ça.
Depardon filme des paysans avec des plans généralement fixes : la caméra ne bouge pas, ou se contente de pivoter. Le matériel filmé court entre l'hiver et le printemps. Tous les personnages sont présentés par Depardon en voix off, sobre. On commence par un travelling sur une route de montagne sinueuse avec du Fauré mélancolique. On voit le lever de 3 personnes qui déjeune, un autre dont le petit déjeuner n'en finit pas, absorbé par son bol de café dans lequel il trempe son pain, et qui évite de regarder la caméra. Un peu comme tous les agriculteurs que l'on va voir. On assiste à la venue du maquignon, aux trésors de ruse du paysan pour gratter 100 francs de plus. On assiste à la soupe, qui a lieu dans un silence gêné. La venue du vétérinaire, le nettoyage des stalles des vaches. On suit une femme qui visite quotidiennement Louis Bresse, un agriculteur borgne de 90 ans qui vit près de chez lui. Lorsque Louis meurt, elle a l'air préoccupé par le fait qu'il n'est pas fait d'héritage, mais dit qu'on va dire du mal d'elle, alors que ses intentions étaient pures. L'enterrement de Louis, une cérémonie protestante pour laquelle tout le monde est venu, et qui fait écho à l'entretien du début avec une dame de 90 ans qui cède sa ferme à un jeune couple qui vient d'avoir un bébé.
Voilà ce qu'on voit, mais l'impression qui domine, c'est que Depardon plante sa caméra et intimide les gens, qui ne se livrent pas et ont un air assez gêné. Au début, les vieux parlent en occitan. Et puis la manière dont Depardon filme les mains des paysans, leurs gestes, en misant sur la durée, me donnait l'impression qu'il filmait avec un air clinique, comme un documentaire animalier. Bref, j'étais révolté, et je me disais que c'était tout de même fichtrement parisien.
Dans les bonus, Depardon dit avoir ressenti le besoin de capturer le monde paysan d'où étaient issus ses parents, et au sein duquel il aurait pu trouver sa place, s'il n'avait pas essayé la photo. C'est intéressant, mais je reste sur l'impression qu'il est urbain avant tout. Ses cadrages ne sont pas ceux d'un homme sensible à la nature, plutôt à la lumière et aux hommes.
Surtout, le fin mot de l'affaire est dans le titre : ce premier volet montre le moment du premier contact avec l'objet d'étude, chose rarement montré en documentaire, dixit le réalisateur. Pourquoi pas, mais j'attends de voir l'ensemble de la trilogie pour dire si, a posteriori et sans voir les commentaires, quelqu'un qui a vu les trois volets peut saisir cette démarche sans aide du réalisateur.
Pour l'instant, ce qui est capté a une grande valeur, mais je reste choqué par la démarche de Depardon, qui a délibérément accentué la distance qui nous sépare nous, urbains, de ces paysans solitaires. Tout le début du film vise à nous donner l'impression d'arriver en terre étrangère. Si j'avais essayé de faire un tel film, j'aurais fait l'inverse.