Cette critique contient de nombreux spoils parce qu'elle évoque fréquemment les dernières scènes du film.

Promising Young Woman semble se vouloir comme une relecture du rape and revenge, genre cinématographique se présentant comme une catharsis aussi bien pour les personnages féminins ayant subi un traumatisme dû à un viol, que pour les spectatrices qui se rangent du côté des femmes vengeresses devenues violentes face à un système misogyne qui ne considère leur corps que comme de la chair fraîche. Les intentions d’Emerald Fennell sont donc fort louables, mais tombent à plat puisqu’on s’aperçoit très rapidement que Cassie (Carey Mulligan, dont la performance est par ailleurs excellente) ne fait pas grand-chose de bien méchant à ces hommes dont elle se venge : elle fronce les sourcils, donne une petite leçon de morale, ils ont un peu peur et voilà, on espère bien qu’on ne les y reprendra plus.

Visuellement, Cassie n’est personne : elle se transforme chaque nuit, chaque soir, correspondant toujours à un archétype différent mais bien sûr toujours prétendument ivre, de sorte qu’elle n’a plus de visage ni d’identité. Elle pourrait devenir toutes les femmes, chacune d’entre nous, mais qu’en est-il quand elle est elle-même ? Elle meurt anonyme, son assassin refusant de prononcer son nom alors même qu’elle lui a donné son identité ; elle reste the stripper, elle devient une perruque et un costume d’infirmière sexy, le visage dissimulé par le coussin qui fût l’instrument de sa mort, sur lequel la seule trace de sa présence sont les bavures de son rouge à lèvres et de son fard à paupières. Le visage est imprégné dans l’objet, mais il n’est plus jamais montré à la caméra. Il est substitué, dans la séquence finale, à un clin d’œil dans un message programmé après sa mort. C’est là que ça s’arrête : un point-virgule et une parenthèse en pixels en blanc sur fond rose. Ce qui devait être une revanche ultime sur les violeurs de sa meilleure amie (le mot viol n’est d’ailleurs jamais prononcé dans le film) repose sur les mêmes forces de l’ordre qui n’ont rien su faire quand c’était nécessaire, et se limite à quelques SMS. Matériellement, ce qui subsiste de Cassie ne lui appartient pas : le collier « Nina » trônant au milieu des cendres semble dévoiler non pas qu’elle est allée jusqu’à mourir pour venger la vie de sa meilleure amie, mais qu’elle n’était rien d’autre qu’une coquille vide en-dehors de Nina.

Il faut cependant reconnaître que le film fait un très bon travail quand il s’agit de montrer ce que beaucoup d’entre nous savions déjà : les hommes sont des gros bébés, des gros bébés qui se serrent les coudes. Tous sont près à rejeter la faute sur Cassie pour se protéger eux-mêmes, ou les uns les autres. C’est la séquence de l’interrogatoire de Ryan (Bo Burnham) qui le montre le mieux : il sait où est Cassie, il sait qu’elle s’est mise en danger, il sait qu’elle a peut-être été tuée ; mais bon, elle l’a menacé de dévoiler la vidéo où il assiste complètement passif au viol de Nina, alors peu importe si elle est morte finalement. Oui, elle avait l’air un peu instable. Oui, peut-être qu’elle aurait pu vouloir se faire du mal. Même le père de Cassie est prêt à la jeter sous le bus alors qu’il n’a rien à y gagner. Al la tue, se met à chouiner, et son ami le rassure, mais non ce n’est pas ta faute, tu n’as pas fait exprès, on va arranger ça. Mais enfin, ce sont des mecs gentils au fond. Heureusement, sinon imaginez de quoi ils seraient capables.

La déception de Promising Young Woman réside surtout dans le fait que le film aurait mérité d’être plus radical, plus violent, un peu plus cruel peut-être aussi. Les dernières scènes sont profondément décevantes : non, mourir pour prouver qu’on a raison n’est pas un moment victorieux, même avec un petit clin d’œil et de la musique pop tout du long. Pour ce qui est de la critique sociale, Emerald Fennell fera beaucoup mieux quelques années plus tard avec Saltburn, aussi bien en termes de propos que de mise en scène.


heliotroppium
4
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le 7 nov. 2024

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