Polar proche de l’expérimentation, cette œuvre est une virée nocturne et atmosphérique dans un Hong Kong burlesque et désertique. PTU n’est pas un polar comme les autres, mais on comprend vite l’admiration de Wong Kar Wai pour ce film. Emporté par une mise en scène alléchante et jamais ostentatoire dans son déploiement, PTU isole alors ses personnages, lors d’une seule et unique nuit, dans une affaire policière qui agencera ses strates par le biais d’une tension qui va aller crescendo, tout en étant ponctuée d’une ironie comique subtile. Il n’y a qu’à voir le point de départ de l’intrigue : un officier de police perd bêtement son pistolet et demande à ses comparses militaires de le récupérer des mains d’un gang pour ne pas être mis à pied.
Derrière ses personnages finement caractérisés, c’est surtout la réalisation qui fait toute la fine magie de PTU, une beauté formelle aussi maîtrisée que contemplative. Dans une ambiance en pesanteur, Johnnie To filme un Hong Kong à hauteur d’homme, comme on a très peu l’habitude de le voir. Souvent soumis à une foule aussi phosphorescente qu’indigeste dans l’imaginaire cinématographique, la mégalopole dévoile cette fois-ci un arrière du décor aussi délicat qu’hallucinogène : des ruelles résidentielles noyées sous la nuit, des bâtiments laissés à l’abandon, des salles de jeux d’arcade paumées pour jeunes et des bouis-bouis délabrés, c’est donc un no man’s land qui s’ouvre à nous comme une aire de jeu pour une guérilla patibulaire et minimaliste. Johnnie To magnifie ses décors par son sens du cadre et sa qualité dans les jeux de lumière.
Comme avec Wong Kar Wai ou même Tsui Hark, avec tout de même plus d’humilité dans son esthétisme, le style devient la substance même de l’œuvre où une certaine morosité se dégage de la porosité de ces surfaces industrielles un peu abruptes, qui ne sont pas forcément le lieu propice à une exaltation de l’action ni à une surenchère de gunfights foutraques, mais qui permet à PTU de ménager ses effets et de prendre le spectateur par la main pour l’amener dans sa nuit tendue qui véhicule une violence assez soudaine et inattendue.
Tout comme Michael Mann, Johnnie To nous immerge dans un cinéma du mouvement, avec une réalisation qui se met au diapason de son récit, qui n’avance que par l’avancée géographique de ses personnages. Malgré son calme et sa cupidité géniale (erreur dans la récupération des téléphones, le poignardé qui veut aller à l’hôpital), le réalisateur révèle ses distractions avec un détachement arrogant, parle d’un code d’honneur aux largeurs assez extensibles, et soutient avec succès la panique existentielle du film jusqu’à l’énigmatique ironie de la révélation finale.
Entre ces policiers qui se cachent des informations, ces colonels qui frappent des petits merdeux, des militaires à la camaraderie enfantine et à la démarche robotique qu’on croirait tout droit sorti d’une bande de boy scout, ce flic bedonnant au sourire idiot, PTU use d’un comique de situation assez absurde, grotesque mais ne déleste jamais son récit d’un certain réalisme et garde toujours en tête la tension policière qui fait de lui un polar singulier.
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