Vient prendre ta claque chez Michael Mann.
Michael Mann est un génie, le dernier grand cinéaste contemporain américain, semble-t-il destiné à demeuré sous-estimé...Toujours est-il qu'il me fallait placer au moins deux de ces films dans mon top 10.
Alors pourquoi diable "Public Enemies" à la place de "Heat" - le choix qui semblait, aux côtés de "Révélations", s'imposer le mieux - me direz-vous ??
D'abord et surtout parce que le souffle épique, historique et romantique qu'il dégage est presque sans égal dans la filmo du réalisateur (même "Le dernier des Mohicans" est un ton en dessous). En gros c'est, avec "Révélations" donc, celui qui me touche le plus, et me fait ressentir le plus d'émotions quand je le revois.
Techniquement parlant ensuite, "Public Enemies" érige définitivement Michael Mann en artiste total du tournage en caméra numérique.
Les expérimentations et avancées techniques testées sur "Collateral" et surtout "Miami Vice" trouvant ici leur aboutissement logique.
Et si visuellement le résultat est tout simplement bluffant, il a aussi le mérite de placer le spectateur au coeur même de l'époque: on ne regarde pas un film ayant pour toile de fond les années 30, on est littéralement propulsés en 1929, comme si l'action se déroulait de nos jours.
Si Mann choisi ici de conter les derniers mois de l'existence de "l'ennemi public numéro 1" John Dillinger (Johnny Depp, épatant), la traque de ce dernier par le très "torturé" Melvin Purvis - on notera d'ailleurs le titre pluriel du film, "Public Enemies", tout sauf un hasard - et son histoire d'amour avec Billie Frechette, c'est surtout le changement d'époque, survenant qui plus est après la grande dépression, qui intéresse ici le cinéaste.
La reconstitution dont bénéficie le film est à ce titre époustoufflante de réalisme, jusque dans ses moindre détails, comme d'habitude avec Mann le perfectionniste.
On retrouve également le thème le plus présent dans l'oeuvre du cinéaste, à savoir la frontière si souvent ténue entre le bien et le mal (les agents du FBI seront désormais obligés de transgresser leur "code moral" pour pouvoir mettre les gangsters hors d'état de nuire, basculant doucement mais sûrement vers le côté obscure de leur profession).
Mann filme, avec l'obsession du détail qui le caractérise, le passage d'une époque à une autre, via les nouveaux modèles d'automobiles, les armes à feu dernier cri, les derniers modèles de coffres-forts, les modes vestimentaires de l'époque...
Mais surtout les progrès technologiques (tables d'écoute entres autres) et humains (demande en renforts d'hommes de loi habitués à tuer) dont bénéficiera le FBI pour traquer les hors-la-loi, ainsi que l'émergence des réseaux téléphoniques de paris clandestins - qui révolutionneront le grand banditisme de l'époque - l'un comme l'autre étant destinés à jouer un grand rôle dans à la chute de Dillinger.
Le réalisateur profitera également des incontournables références inhérentes au genre du "film de gangsters" pour nous proposer une mémorable mise en abime du 7ème art, via deux scènes d'anthologie, filmées dans des salles de cinéma: la première vois Dillinger se réunir avec sa bande, lorsqu'apparait sur l'écran de la salle un film de propagande sommant le public présent de scruter la salle, afin de dénoncer l'éventuelle présence de ce dernier.
Dillinger, se savant incognito, est le seul à ne pas suivre le mouvement des spectateurs regardant à droite et à gauche.
La seconde, d'une beauté et d'une puissance évocatrice à tomber, se passe lors d'une projection de "L'Ennemi public numéro 1", juste avant que Dillinger ne soit abattu.
Johnny Depp observe le grand Clark Gable, ce dernier, dans le film, lui renvoyant la "vision" de sa propre existence. Dillinger a l'étrange pressentiment que sa vie touche à sa fin ("Quand c'est ton heure, c'est ton heure", comme le dit si bien son fidèle compagnon Red), de la même manière que celle du personnage de Gable dans le film. Il admire également, avec une émotion compréhensible (l'amour de sa vie étant désormais derrière les barreaux), les actrices du film, chacune d'entre elles lui rappelant un peu plus Billie.
Une troisième scène se détache du lot: on y suit Dillinger déambulant dans un poste de police, en toute impunité, alors que les officiers sont bien trop occupés à suivre le baseball à la radio pour se préoccuper de cet intru. A travers les photos qu'il contemple (de lui mais aussi des anciens membres de sa bande et de Billie), c'est un pan entier de sa vie qu'il voit défiler.
Dillinger aura même le culot de demander aux officiers le score du match, sans être le moins du monde inquiété par ces derniers. Et le spectateur de se délecter autant que lui de ce moment pour le moins surréaliste...
Trois très grands moments de cinéma, faisant eux-mêmes partie d'un classique instantané.
Faut-il vraiment prendre la peine de préciser que, comme d'habitude chez Mann quand il s'attaque aux films de ce "genre", les scènes d'actions sont d'une imparable maitrise et d'une efficacité redoutable ??
Le cinéaste excelle une fois de plus dans les scènes de fusillades, filmées comme d'incroyables ballets d'une fluidité bluffante dans leurs montages.
Une fois de plus, entouré de ses fidèles collaborateurs - dont les aussi indispensables que géniaux Dante Spinotti à la photo et Elliot Goldenthal pour la b.o. - Michael Mann aura su faire rimer grand spectacle et émotion(s) comme personne. Et peut-être comme jamais auparavant dans son oeuvre.
Force est de constater que sa réussite est - une fois encore - totale.