Il fut un temps où être jeune, mal dans sa peau et peu intégré n'était pas une mode. Il fut un temps où il n'y avait pas de lieu d'expression pour les jeunes sans qu'il soit systématiquement censuré. Il fut un temps où l'on savait écrire des films pour les 15-25 ans sans les prendre pour des cons. Ce temps est bien révolu.
Quand on constate tous les films soit-disant indé qui sont manufacturés pour une génération d'ados et jeunes adultes, complètement inodores, incolores et sans saveur, il est bon de se rappeler que la subversion a bel et bien existé un jour au cinéma de manière intelligente et que la "question djeunz" pouvait être abordée sans stéréotypes ni clichés.
Ce en quoi ce film est unique, c'est qu'il est *heureusement* inadaptable de nos jours. A l'ère pré-internet, pré-téléphone "t'es où?" portable, où les propos et discours étaient facilement contrôlables et la liberté d'expression réprimée, il délivrait un vrai message, et pas le "It gets better" que l'on a vu récemment, mais plutôt "si tu veux que ça change, bouge toi le cul et prends la parole".
Marc est mal dans sa peau, lunetteux, associable et a le charisme d'un brin d'herbe, mais seulement en apparence, car le soir, dans sa cave et derrière sa radio, torse-nu (l'argument est important s'agissant d'un Christian Slater juvénile), et excité comme 15 lapins Duracel, il déguise sa voix pour devenir le joyeusement cynique "happy harry hard-on" ou "harry la trique", sorte de croisement entre une Opra Winfrey lubrique et cocaïnomane et un psychanaliste, où il diffuse volontairement de la musique censurée, laisse ses auditeurs prendre la parole en les encourageant à faire du grand-n'importe-quoi et simule masturbations et orgasmes tout en dénonçant la grande hypocrisie régnant dans sa petite ville. Jusqu'au jour où un adolescent appelle et annonce qu'il compte se suicider et où notre Harry ne trouve pas de réponse à un "j'ai une vie de merde, je me tire une balle dans la tête." A partir de ce moment, la Directrice du lycée, les parents, les médias, tous se mettent à sa poursuite pour condamner ce qu'ils estiment être de l'incitation à la rébellion, à la violence et au suicide. Marc va toutefois trouver un soutien inattendu.
Le film a réussi un exploit : celui d'aller jusqu'au bout de son scénario et lui insuffler des moments très justes et crédibles : la relation Marc-Nora, du premier baiser à leur danse, les propos des auditeurs qui l'appellent constamment (du suicidé, au jeune gay, à la fille à papa) et même le discours de "l'autorité", ici les parents, qui se retrouvent complètement désarmés devant une jeunesse qui ne leur correspond plus. Les jeunes arrivent cependant de par un traitement subtil du réalisateur à dépasser les clichés auxquels on les identifie, et sortent donc des classements habituels "geek, nerd, jock..."
Allan Moyle dirige à merveille les deux héros Christian Slater dont c'est certainement le rôle le plus marquant, et Samantha Mathis, maintenant actrice de films indé, jamais star mais toujours excellente, sur une bande-son, aujourd'hui très datée bien sûr, mais dont la coolattitude est irréfutable.
Alors oui ce film est 90's : les vêtements, les coupes, la musique, les "hey voilà la cassette de l'émission d'hier", mais justement c'est ce qui permet au film de fonctionner et de donner tout son poids au discours de Marc.
Incontournable et culte.
A voir également : Heathers et "the breakfast club".