L'histoire se déroule au début du vingtième siècle quelque part au bord des méandres d'un fleuve d'Amazonie. Joanna, une ravissante jeune mariée de la Nouvelle Orléans, débarque à quai et s'installe dans la propriété d'un certain Christopher Leiningen, son mari. Ce dernier, un homme bougon, froid et rendu solitaire par la rudesse de son environnement, l'a choisi parmi plus d'une centaine de femme sur un catalogue matrimonial par correspondance. Bien qu'ils ne se soient encore jamais rencontrés, ils sont néanmoins déjà unis par les liens sacrés du mariage. Reste à chacun à faire la connaissance de l'autre. Mais pour le moment Mr Leiningen n'est pas là, occupé qu'il est à superviser la culture de sa plantation de cacao, et Mme Leiningen se retrouve seule. Seule, elle ne le sera jamais d'avantage que ce soir-la pour leur première rencontre, glaciale. Les jours passent et l'entente ne se dégèle qu'en de rares occasions. Les motivations de Leiningen sont claires : il attend d'elle un héritier pour prendre sa succession le moment venu. Trêve de sentiments et d'intimité déplacés.
La jungle est en émoi. Les animaux désertent leurs tanières, leurs nids et leurs repères. Même les dernières tribus humaines sylvestres les plus reculées ont fui leur campement. Un mal s'est réveillé au cœur de la forêt et chasse ses habitants hors de ses frontières. Les terribles légions myrmécéennes se sont réveillées et déciment la nature luxuriante de la jungle. La Marabunta gronde. Des millions et des millions de fourmis recouvrent maintenant le cœur de la jungle. D'ici quelques jours elles auront atteint la plantation des Leiningen. La stratégie est mise au point et les préparatifs sont lancés : si l'armée entomologique venait à franchir les douves, leur dernière chance de salut serait de submerger la plantation par les eaux du fleuve. Celle qui naguère recouvrait déjà la région avant que l'Homme n'appose sa main mise et ne contrôle son cours. Dans l'adversité, Mme se découvre un mari et Mr, un cœur.
The Naked Jungle est une bonne surprise. Non pas que je sois échaudé par la multitude de mauvais films que Heston tourna dans les années 50 (il y a toujours son charisme et souvent une jolie pépé à reluquer) mais plutôt que cette histoire de romance sur fond d'invasion de fourmis tueuses me faisait craindre les plus basses considérations matrimoniales. Finalement il n'en est rien. Heston fait du Heston, Eleanor Parker lui rend très bien la pareille et la morale est tout ce qu'il y a de plus saine : pour construire, il faut d'abord savoir détruire. Avant d'actioner lui même la manivelle, Haskin fit les beaux jours du département des effets spéciaux de la Warner avant de finalement rejoindre la Paramount où son ami George Pal officiait en tant que producteur. Leur collaboration sera fructueuse et accouchera de quelques bons films de science-fiction comme The War of the Worlds en 1953 et Conquest of Space en 1955 notamment, marqués par l'ingéniosité artisanale et pourtant criante de réalisme de leur effets spéciaux. A ce titre, le cri strident et unique des fourmis en action fut obtenu en faisant tournoyer énergiquement une paille dans un verre d'eau garni de glace pilée. Pour conclure je dirai, qu'il s'agisse de Conquest of Space ou The Naked Jungle, qu'il émane de l’œil naïf et innocent de Haskin, une générosité et un charme qui confère à ses films un supplément d'âme qui manque cruellement aux productions actuelles.