Bertrand Tavernier est encore un jeune réalisateur lorsqu'il entreprend Que la fête commence, son second film, un an après L'Horloger de Saint-Paul (1973). Il y dévoile ce qui sera une de ses trois principales facettes : la reconstitution historique idéologiquement orientée (dont Le Juge et l'assassin sera une quintessence). Les deux autres sont les documents sur le vif, souvent polar (L.627) et le naturalisme cru, toujours sur un ton philosophique, parfois sur des thèmes sombres mais avec facétie (Coup de torchon, opus désespéré). Bien sûr ces trois catégories sont perméables et Que la fête commence tient aussi de la troisième.


Situé pendant l'ère de la Régence caractérisant les premières années de règne de Louis XV (l'action démarre précisément en 1719), Que la fête commence déprécie cette période. La chronique cherche à établir un parallèle avec l'ère actuelle, c'est-à-dire la France post-gaulliste, avec un point de vue sans nostalgie dans les deux cas. Tavernier se montre corrosif envers cette décadence, molle et mesquine, de l'après-Roi Soleil, sans avoir recours à des démonstrations outrées cependant, sauf en parole. Même s'il prend des libertés avec l'Histoire (la cour se situe à Versailles, or la régence s'était implantée à Paris jusqu'en 1722), le film est 'réaliste'. Il est proche de la réalité plus que de fantaisies pour l'écran ou de flatteries de l'imaginaire collectif 'moyen'.


Le mode de vie autour de la cour et de la haute société de l'époque est dévoyé et surtout dangereusement irresponsable. Le libertinage est répandu et assez doux dans le fond, il ne trouble pas la tranquilité de ce nouvel ordre ; mais la vanité qui a gagné les rangs des dominants est en train de les couler, alors que la France bat de l'aile sans qu'ils s'en soucient. À la crise des finances publiques s'ajoute un laisser-aller des garants de l'ordre moral, perdant l'estime, en tout cas le goût, pour ce qui est censé leur octroyer leur légitimité ; eux-mêmes l'ont abandonné pour devenir des commerçants dans l'âme, sans saisir tout à fait l'ampleur de la perte. Ils sont maladroits et ne feront pas de bénéfices à long-terme ; l'emprise protestante leur est plutôt fatale (le film s'achève sur une suggestion de la Révolution de 1789).


L'abbé Dubois est plus avisé à ce sujet (religieux par opportunisme, il se dit paien par nature), mais s'il a un plan de carrière il a tort de ne pas en avoir pour les institutions qu'il ponctionne ou qu'il convoite. C'est aussi le revers après le triomphe : Louis XIV a portée la France au sommet, mais il vient un moment où la fatigue emporte le système. La conspiration de Pontcallec (menée par des nobles bretons) n'est donc pas le sujet principal du film, plutôt le cœur venant faire battre le grand corps usé d'une France du haut imbue et négligeante. La mise en scène, animée, évite pourtant d'être trop affirmative : les grands et petits sujets sont réfléchis avec intelligence, l'initiative est marginale, les activismes des uns et des autres donnent le tempo ; le cinéaste ne cherche pas à applanir le processus pour dégager une unité arbitraire.


Cela donne un spectacle malin, feutré, avec une intensité 'posée', où les réflexions fusent en se laissant porter et éparpiller par les suggestions en route, sans perdre la boussole en chemin. Le film peut manquer de puissance mais jamais de charme, flirte avec la comédie et le pathétique. Il se concentre sur les protagonistes et l'étalage de leurs mœurs, de leurs doutes. Noiret et Rochefort, déjà dans L'Horloger de Saint-Paul, se retrouvent avec Jean-Pierre Marielle pour interpréter les principaux instigateurs (le régent, son ministre Dubois, le marquis de Pontcallec). Ce trio fameux, d'acteurs amis dans la vie, sera reformé en 1997 par Les Grands ducs de Patrice Leconte (Les bronzés, Ridicule, La fille sur le pont).


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le 12 sept. 2015

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