Une cour d'école en ruine, une cohue joyeuse, un enfant s'écrie « Merci Adolf ! ». Queen and Country s'ouvre sur ces images finales de Hope and Glory, film de 1987 dans lequel John Boorman contait son enfance au cœur du Blitz Londonien, cette « phase euphorique » pendant laquelle la guerre était un « terrain de jeu ». Présenté comme une suite et d'inspiration autobiographique, Queen and Country, évoque, avec la même nostalgie rieuse et intime, l'adolescence de notre jeune héros, appelé sous les drapeaux, Bill Rohan.
1952. Bill a 18 ans. Son rêve d'aborder la jolie fille qui passe en vélo sur les bords du fleuve, où sa famille a une maison, est brisé par la guerre de Corée, la conscription et la dure réalité du camp militaire, où il sera instructeur. Nouveau terrain de jeu pour Bill, et Percy, garçon farceur et insolent, avec qui il se lie d'amitié et partage tout : l'amour pour le cinéma, les canailleries et les filles. Ils complotent, avec le soldat Redmond, un « planqué notoire », pour faire tomber le sergent Bradley, caricature du militaire obtus et obsédé par le règlement. On prend beaucoup de plaisir à observer l'orchestration, filmée en rythme, des plaisanteries des trois acolytes, qui citent le Times, « bible de la classe dominante », pour s'en sortir. Ils se rebellent contre tout : l'armée, les codes sociaux, et la couronne. D'ailleurs, le vol de l'horloge offerte par la Reine constitue le « climax » farcesque des gags qui s'enchaînent, de plus en plus élaborés. Plus jouissif encore est la reconstitution du crime. Nous – personnages et spectateurs – rions beaucoup de ces irrévérences. Mais derrière toute cette cocasserie, on décèle un sérieux, une critique sous-jacente du système militaire. Dans la lignée des comédies militaires, telles que M.A.S.H. (Altman) et ses deux chirurgiens provocateurs et coureurs de jupons, le film moque l'abrutissement mécanique des soldats, et souligne l'absurdité de la guerre : celle des américains, pas la nôtre  ! Cependant, à une critique plus acerbe, Boorman préfère la franchise des rires, la belle camaraderie, et des dialogues souvent enlevés.
Si on se laisse facilement aller à l'humour british, l'intrigue sentimentale narrée en parallèle ne convainc pas vraiment. Le scénario s'essouffle dans des amours au côté fleur bleue assumé (bien-aimée nimbée de lumière cadrée en plan américain) et la belle aristocrate dépressive Ophélia, dont Bill tombe amoureux, tient plus de l'ornement que d'un personnage complexe. La structure épisodique – on a parfois l'impression d'assister à un feuilleton sur les années de conscription, avec rires joyeux de l'assemblée des jeunes recrues à l'appui – nuit à l'unité générale. Disputes de chambrée, triangle amoureux, redondance des gags, tendent à lasser le spectateur. Le sujet sérieux est traité sur un ton léger, mais y a-t-il un enjeu plus profond ? La « récupération » finale du personnage antipathique du sergent Bradley, soudain élevé au rang de grande victime pathétique de la guerre, semble nous dire que oui mais elle manque de subtilité, frôle l'arbitraire, comme pour réajuster le dosage dramatique du film. Enfin, le jeu exagéré, parfois faux de Landry Jones (Percy) détonne et dessert certaines scènes, les privant de la sincérité et de la justesse recherchée par le cinéaste.
« On n'a qu'une chance dans la vie », déclare avec candeur Bill. L'intérêt du film réside dès lors plutôt dans le regard nostalgique du réalisateur sur sa jeunesse, dans cette Angleterre à la croisée de deux époques, et deux mentalités, entre les anciens attachés à l'Union Jack, et à l'Empire, et les jeunes, qui ont soif de nouveauté et de liberté. Boorman capture merveilleusement bien l'intimité des scènes de familles, brèves échappées hors du camp, en particulier la scène belle et juste où la petite famille se rassemble autour d'une petite télévision archaïque pour regarder le couronnement d'Elizabeth II, et fait revivre avec vivacité les personnages du grand père au cynisme plein d'humour, de la sœur sensuelle et loquace, du père taquin. Il dresse un portrait classique de l'adolescence, ce moment vertigineux de l'exacerbation des sentiments et de l'éveil au cinéma : on cite Hitchcock, Billy Wilder, on discute de Rashômon. Ultime retour aux sources, la rivière (motif récurrent dans sa filmographie) symbolise ici le passage à l'âge adulte, certes, mais surtout le passage derrière la caméra.
Le film se termine sur cette belle image d'une caméra qui tourne, prélude d'une longue carrière de cinéaste...et peut-être indice d'un troisième opus sur ses débuts ? Sans doute, la critique trop bienveillante de l'institution militaire (on en vient à oublier la guerre de Corée !) et un sentimentalisme trop appuyé par moments affaiblissent la portée du film, mais sa forte tonalité enjouée, le rend plaisant – une scène de fraternité scellée l'instant d'une cigarette partagée, repêchée du jus de framboise – et agréable à regarder, sans être aussi émouvant que Hope and Glory.

Kippamia_Rockyn
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le 10 sept. 2016

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