Agathe n'a rien d'une reine au sens classique du terme, pourtant c'est un être touchant et presque royal tant Florence Loiret-Caille la rend fragile et forte à la fois. Elle vit à Montreuil, mais pas n'importe où : rue de la Fraternité. Ces résonances-là signifient beaucoup, car dans sa valise Agathe ramène un petit bout d'Islande : une mère et son fils, bloqués-là par une petite révolution. Débarqués de Jamaïque où elle a laissé son fils, Anna a perdu sa robe de mariée alors qu'Agathe vient de perdre son mari. Première rencontre du film, premier décalage : aussi verbale que physique (alors qu' un seul mot, en anglais, suffira à faire couler des larmes). Pourtant dans cette robe rose bonbon que cherche Anna, les deux femmes semblent si identiques, si belles, si reines. Il suffit d'un deuil surmonté pour faire d'une femme une reine selon un joli proverbe qu'Anna conte à Agathe. Oui, cette "Queen of montreuil" -là s'envole dans le ciel à l'aide d'une grue. A Montreuil, on est nulle part et partout à la fois, la France y est éparpillée, abandonnée, mais joyeusement diverse. Du haut d'une grue, on peut voir tout Paris, mimer des films, écrire des poèmes, fumer de l'herbe et rêver qu'on reprend enfin sa vie en main.
Un conte décalé, où l'on croise même un phoque perdu dans le zoo de Vincennes désaffecté, des hommes persuadés qu'une moustache "ça fait plus professionnel". Mais surtout cette immense douceur amère que savait distiller une autre reine de Montreuil, Solveig Anspach, la réalisatrice, qui nous a quitté le 7 août 2015, mais nous a laissé en cadeau des films où les personnages sont flamboyants. Elle les abandonnent rarement, sauf pour prendre de la hauteur, dans le ciel de Montreuil ou vers l'immensité de la mer. Fou et touchant que ce film où les femmes prennent le pouvoir sans crier ni manifester, simplement en s'émancipant et en rêvant.