Portrait de femme(s)

"Monsieur Godard, vous n'avez pas le monopole du faux-raccord" semble dire William Klein pendant les 97 minutes de ce foutraque et sympathique "Qui êtes-vous Polly Maggoo ?". Et de fait, le photographe parvient, dès ce premier film, à faire souffler un vent de liberté épatant en ces temps de Nouvelle Vague. Alors ça fuse, d'aphorismes en idées visuelles décoiffantes, ça cut, ça joue avec les ciseaux comme avec les mots, et puis l'hypnotisante Dorothy Mc Gowan danse devant l'objectif comme s'amusent les actrices de Godard : sans se forcer.
Portrait fictif façon "Zelig" (avant l'heure bien sûr), ce bout à bout de fulgurances ne fait sûrement pas un film mais ne boudons pas notre plaisir car Klein a de la créativité à revendre. Un repas de famille se transforme en scène annonçant le "Brazil" de Gilliam, un gentil question-réponse tourne au ping pong filmique, PAF, une idée, PAF, une autre, service-volée-smash, un café l'addition ! Entre deux scènes on se surprend à réfléchir sur la mode, le vide de nos vies, le sens de l'image, on ne risque pas le claquage de cerveau mais il y a un côté décomplexé et franc du collier qui n'est justement pas de Godard et qui rafraîchit. Sur un fil, Klein tient en équilibre, prêt à en faire trop (il en fait déjà des tonnes) mais ça tient, c'est fou, il paraît qu'on appelle ça l'élégance.
Bon forcément, à 35 trouvailles la minute, il y a quelques bides par ci par là, l'hystérie n'est pas si loin, on ne peut pas tout transformer en or du premier coup, et cette façon de coller, oui, de procéder par collages avec des morceaux inégaux et mal assortis montre les limite du projet (visiblement fait à l'emporte-pièce et à l'enthousiasme). Peu importe : "Qui êtes-vous Polly Maggoo ?" est un manifeste de légèreté et de liberté, naïf et chouette comme un Soixante-huitard, mignon comme tout, que l'on oublie aussi vite qu'il nous a enchanté. Un film sans arrière-pensée marchande, roublarde, m'as-tu vu. Bref, un film attachant.