Véritable rareté, Qui tire le premier ? ( A Time for Dying 1969) est le dernier film de fiction réalisé par Budd Boetticher, grand maître du Western de série B, reconnu pour son efficacité et la sécheresse de sa mise en scène. Celui-ci sortait d'une longue traversée du désert, entre problèmes personnels et difficultés à boucler son documentaire sur le matador Mexicain Carlos Azzura (ce dernier est mort durant la période du tournage). Il aura donc fallu attendre 9 ans depuis la sortie de Comanche Station en 1960, pour que le réalisateur retrouve les plateaux de tournage.


Entièrement produit par l'acteur Audie Murphy, en indépendance du système hollywoodien, il s'agit pourtant d'un authentique film maudit qui finira d'enterrer la carrière de Boetticher, à cause du décès de son producteur lors d'un accident d'avion qui entraînera le blocage des droits du film (qui ne sortira finalement qu'en 1982). Boetticher avait alors de nombreux projets en prévision avec Audie Murphy, mais ceux-ci ne verront donc jamais le jour.


Pour résumer l'histoire : Cass Bunning quitte pour la première fois la ferme familiale, dans l'espoir de devenir chasseur de primes. Il se rend pour cela à Silver City, un refuge de hors-la-loi, où il sauve une jeune fille destinée au bordel de la ville. Les deux jeunes gens apprennent à se connaître et décident de tenter leur chance ensemble, dans le grand ouest. Sur leur route, ils feront la rencontre de plusieurs personnalités mythiques, comme le juge Roy Bean ou bien encore Jesse James joué par Audie Murphy)...


La première chose que l'on peut remarquer lors du visionnage de Qui tire le premier ? (du moins pour ceux qui connaissent l'œuvre de son réalisateur), c'est l'évolution stylistique qui est opérée par rapport à ces précédents métrages. Zoom, gros plan sur les visages, courte focale, etc. L'on sent ici un réalisateur, qui tente de se mettre à la page de l'esthétique du nouvel Hollywood, et l'on peut mesurer pleinement aujourd'hui à quel point les choses ont évolué durant les neuf années le séparant de son dernier film en date.


Boetticher dira à Bertrand Tavernier lors d'une interview, qu'il avait l'intention avec ce film, de montrer la vie dans l'ouest telle qu'elle était vraiment, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il nous donne ici, à travers sa galerie de personnages, une image assez dure et violente de cet ouest mythique (bien que non dénué d'humour).


Dès le premier plan du film, la couleur est annoncée, avec ce crotale se faisant démembrer à coup de pistolet, en gros plan, rappelant l'ouverture de La Horde Sauvage de Peckinpah, sortie en 1969, où nous pouvions voir, en très gros plans, des enfants s'amusant avec un scorpion se faisant dévorer vif par une colonie de fourmis. Cette violence de l'ouverture, nous la retrouverons à plusieurs reprises, disséminées dans le film, au travers notamment du juge Roy Bean, lors du procès d'un vagabond de passage (dont on ne saura jamais s'il était coupable), ou bien encore, de l'antagoniste Billy Pimple, jeune gâchette au comportement paranoïaque et psychopathe.


Durant son parcours, chacune des rencontres avec les grandes légendes de l'ouest se conclut en leçon pour notre jeune héros, qui veut prouver au monde qu'il est un grand pistolero. Jesse James lui dira notamment de garder son sang-froid lors de ses futurs gunfights, car ses mains sont moites, et malgré tout son talent, il devra garder ses nerfs s'il veut survivre aux futures épreuves. Ce conseil en particulier s'annonce finalement comme un funeste présage plus tard dans le film, avec une fin incroyable de dureté, anti-hollywoodienne au possible, dans une séquence nocturne à l'ambiance quasi-fantastique.


Le film prend au final, des allures de fable sur le destin de la plupart de ses jeunes gâchettes de l'ouest, qui partaient chercher la gloire au travers de la violence, sans être préparé à sa dure réalité, inconscient qu'ils pouvaient en être eux aussi les victimes (au vu de la date de production du film, le parallèle peut-être également fait avec les soldats envoyés au Vietnam à l'époque).


Plus qu'à une curiosité, nous avons à faire ici à un véritable joyau méconnu dans la filmographie de Budd Boetticher, exhumée par Sidonis Calysta en blu-ray.

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il y a 6 jours

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