L’événement de la sélection ACID 2014 était incontestablement la présentation de Qui Vive de Marianne Tardieu, dont l’affiche laissait augurer d’un casting sur lequel très peu de réalisateurs, même les plus aguerris, auraient craché. Un an après l’apothéose kechichienne, Adèle Exarchopoulos revenait à Cannes, accompagnée par Reda Kateb qui non content de faire parler de lui à la Semaine de la Critique avec Hippocrate, venait également avec ce film faire un peu plus main basse sur le cinéma français. Ce tandem taille patron a évidemment rameuté le chaland, regroupé en une masse informe devant l’entrée des Arcades, cinéma attitré de la sélection de l’ACID. De quoi mettre une grosse pression sur le premier film du Festival où l’auteur de ces lignes a passé plus de temps à attendre dans la file d’attente qu’à poser son derrière son un siège confortable.
Qui Vive, c’est l’histoire de Chérif, agent de sécurité pour le compte d’une société privée, chargé d’empêcher les ados de piquer des casques au rayon high-tech d’une grande surface. Tout en préparant en parallèle le concours d’infirmier après quatre échecs, il rencontre Jenny, une jeune institutrice avec qui il noue rapidement une relation. Jusqu’au jour où un événement tragique, une bavure, va faire basculer irrémédiablement le destin de Chérif dans une spirale incontrôlable. De prime abord, le film qui se déroule devant nos yeux s’inscrit dans une veine assez prisée du cinéma français contemporain : celle de la chronique sociale réaliste un brin désenchantée. C’est un film de banlieue qui ne se dit pas, et plus généralement un objet bien difficile à appréhender dans son ensemble. Qui Vive consacre en réalité plus d’énergie à ne pas être quelque chose plutôt qu’à être autre chose. Cette volonté louable du film d’échapper aux clichés de la catégorisation des genres semble l’égarer dans un entre-deux en fin de compte assez frustrant. Le film a d’ailleurs reçu un accueil à chaud plus tiède que prévu, où les applaudissements étaient polis et les spectateurs un peu longs à la détente pour poser leurs premières questions lors du débat qui a suivi. Peut-être avaient-ils du mal à en dire quelque chose?
S’il est un film de banlieue, on en a déjà vu de bien meilleurs. S’il est une chronique sociale, elle est assez superficielle. S’il est un film policier, son cas est traité parfois un peu nonchalamment. Et s’il est le film d’un amour, il est celui d’un amour bancal et vite avorté. Et c’est la pauvre Adèle Exarchopoulos qui en fait quelque peu les frais : si son rôle n’est pas en soi négligeable, il est malheureusement un peu vite escamoté et n’apparaît que trop peu tout au long des 83 minutes montre en main que dure le film de Marianne Tardieu. Dommage, car la complicité évidente entre Chérif et Jenny apporte une lumière et une légèreté bienvenue à cette histoire, portée notamment par de très jolies séquences de dessins d’enfants animés, autant d’élans poétiques qui surgissent au beau milieu d’un souci de réalisme ambiant. Toujours est-il qu’en dépit de son temps de présence pas aussi important qu’on pourrait le penser, le personnage de Jenny aurait gagné à prendre plus d’épaisseur, ce que le film parvient à faire par moments. On pensera notamment à ce personnage du patron de Chérif, d’abord incarnation de toutes les dérives du management d’entreprise moderne, qui gagne progressivement en ambiguïté à force de paternalisme dont on ne sait plus trop s’il est davantage bienveillant ou intéressé.
Le film repose essentiellement (voire uniquement) sur les épaules de Reda Kateb, autrement dire un pilier d’une solidité à toute épreuve. Qui Vive est l’exemple criant de pourquoi Kateb est actuellement l’un des acteurs français les plus fascinants à voir évoluer. Traînant sa silhouette brute et son visage fatigué, il compose une performance d’acteur brillante, oscillant en un battement de cil entre la dureté et le fragile, entre le roc et le roseau. Toujours sur la brèche, capable d’exploser à chaque instant comme une cocotte-minute sous pression perpétuelle, il est le moteur du film et son principal centre d’intérêt. L’élan de vie de ce drôle de film indécis qu’est Qui Vive, c’est lui, preuve en est s’il fallait encore s’en convaincre que sous sa bonne garde, le cinéma hexagonal peut se sentir en sécurité.