La discrimination positive peut avoir du bon : il est clair qu’avec un tel pedigree, Rafiki avait toutes ses chances pour être projeté à Cannes (dans la section Un certain regard, en l’occurrence) : film kényan réalisé par une femme, censuré dans son pays car traitant du sujet tabou de l’homosexualité, il était nécessaire de lui offrir une vitrine internationale.
Le film n’usurpe pas l’opportunité qui lui est offerte. Le propos est certes modeste, mais à hauteur de ses deux jeunes protagonistes, adolescentes qui tentent de définir leur identité dans monde figé et clairement phallocrate : les deux pères, candidats municipaux, sont l’incarnation (certes un peu surlignée) d’un pouvoir traditionnel, tandis que la jeunesse autour des jeunes filles montre la façon dont la société tente, dans son renouvellement générationnel, de préserver un modèle qu’on considère comme intouchable : l’amie jalouse, le prétendant, les petits caïds homophobes.
La réussite du film tient dans sa capacité à saisir la maladresse et l’intimité des deux personnages, la façon dont elles doivent prendre leurs marques dans le silence, et faire face à l’évidence d’un sentiment qui n’a pas droit de cité. Sur ce terrain, les comédiennes sont assez remarquables. Le choix du point de vue déteint sur une belle photographie, très colorée et à même de rendre à l’Afrique sa vigueur et les élans de sa jeunesse, même si la réalisatrice dérive un peu par moments dans une esthétique pop et clipesque un peu plus passe-partout et pas forcément très convaincante.
La chronique sentimentale adolescente cède presque le pas à la fable dans la dernière partie, les protagonistes devenant des fonctions pour clairement marquer la dénonciation, et le récit n’échappe pas à certains clichés, mais on excusera ces facilités face au courage et la conviction du propos. Ne reste qu’à souhaiter voir davantage de films de ce continent riche de promesses.