Croyez-le ou non, chez Walt Disney Animation Studios, les suites de leurs films d’animation, ce n’est pas chose fréquente. Il y a le cas des nombreuses suites "direct-to-video" mais elles sont le fruit de la filiale DisneyToon Studios, et non celui des studios d’animation Disney ayant fabriqué les films que l’on connaît tous. Le premier cas fut celui de Bernard et Bianca au pays des kangourous en 1990. Et l’essai ne fut pas relancé (sauf si on compte Fantasia 2000 et le Winnie l’ourson de 2011 comme des suites) avant l’arrivée de ce Ralph 2.0, faisant suite au film Les Mondes de Ralph sorti en 2012.
Rich Moore, ancien réalisateur de plusieurs épisodes des Simpson et de Futurama ayant déjà prouvé son talent à Disney avec le premier Les Mondes de Ralph (ainsi que Zootopie qu’il a co-réalisé avec Byron Howard et Jared Bush), avait exprimé après la sortie du premier film son envie de poursuivre l’aventure, estimant qu’ils n’avaient que gratté la surface de l’univers qu’ils envisageaient. C’est ainsi qu’est venue l’idée d’explorer le monde online.
Le film se déroule six ans après les événements du premier. Ralph la Casse, antagoniste du jeu Fix-it Felix Jr., et sa meilleure amie Vanellope von Schweetz du jeu Sugar Rush, coulent des jours paisibles, bien que la jeune fille exprime son envie de quelque chose de nouveau, ennuyée par le côté prévisible de son jeu. Alors que Ralph cherche à faire quelque chose pour lui faire plaisir, cela conduit à un accident, et la manette de la borne d’arcade Sugar Rush se retrouve cassée. Le propriétaire de la salle d’arcade n’a pas les moyens pour acheter un modèle disponible sur eBay (sachant que l’entreprise ayant conçu Sugar Rush est défunte) et songe du coup à se débarrasser de la borne. Ralph et Vanellope décident alors de se rendre dans l’Internet, grâce au nouveau routeur Wi-Fi installé récemment dans la salle d’arcade, pour se procurer la manette.
Rich Moore, cette fois-ci accompagné de Phil Johnston (scénariste du premier film et de Zootopie) à la réalisation, nous montre d’entrée de jeu le plaisir qu’il a de retrouver ses personnages et veut le partager. En effet, dans Ralph 2.0, bien que se déroulant (et sortant !) 6 ans après le premier film, on retrouve très rapidement cette complicité entre les deux protagonistes comme si nous les avions quitté il n’y a pas si longtemps. Et c’est bien cet amour pour les personnages qui constitue une des forces majeures du film, puisque l’équipe a eu la bonne idée de recentrer le récit sur eux.
Exploiter un sujet tel que celui d’Internet aurait pu être très casse-gueule, surtout quelques temps après la sortie du film Le monde secret des Emojis chez Sony qui avait laissé un sale goût dans la bouche des fans d’animation (moi inclus), mais parce que Rich Moore, Phil Johnston et leur clique sont malins, ils ne tombent pas dans les pièges dans lesquels ils auraient pu facilement plonger. Ici, pas de glorification du monde en ligne, ni de discours moralisateur condamnant Internet sans réflexion, les scénaristes mesurent le pour et le contre et savent comment aborder le sujet. Nous ne sommes pas dans la pub constante pour des grandes entreprises du net (bien que leurs vrais noms soient utilisés, on croise ainsi durant le film Google, eBay et Twitter, entre autres), à l’opposé du film Emojis qui faisait de la pub et la glorification du smartphone le centre du récit.
On se retrouve à l’opposé dans un film malin sachant exploiter les bons côtés et les mauvais côtés d’Internet avec talent. En fait, Moore et Johnston évitent le jugement hâtif et ne condamnent pas Internet en lui-même, mais la façon dont plusieurs personnes s’en servent. La scène où Ralph se retrouve dans une section de commentaires est évocatrice dans la mesure où elle montre ouvertement les extrêmes dans lesquels peuvent aller certaines personnes dû à l’anonymat que leur permet Internet, allant jusqu'au bout de leur obsession maladive, surtout à la suite d’un phénomène de "hype". C’est le comportement des utilisateurs et les phénomènes gangrenés par Internet qui sont plus remis en question que le net lui-même. Le regard sur la globalité est neutre, mais la satire incisive frappe là où il fallait frapper, sur un sujet plus que jamais d’actualité (allez voir une page de commentaires sur un film comme Star Wars VIII et vous saurez à quel point). Et cette coordination entre les deux est très appréciable.
Le mieux, c’est qu’Internet se contente de rester un décor pour l’exploitation de la relation entre Ralph et Vanellope. Jim Reardon, en partie en charge de l’histoire du film (et tout comme Rich Moore un ancien des Simpson, le monde est petit), avait exprimé que l’équipe ne voulait pas faire le film sur Internet mais sur la relation entre les deux protagonistes, Internet devant simplement être le lieu où se déroule le film. Et ça se sent, Ralph 2.0 centre son récit sur Ralph et Vanellope (au détriment de Félix et Calhoun qui n’apparaissent que quelques minutes, mais pour la bonne cause finalement) et Internet est simplement un lieu. Le focus reste sur le duo principal et sur l’exploitation intimiste de leur amitié. En y intégrant de très bons personnages secondaires comme Shank, pilote du jeu répondant au doux nom de Slaughter Race (et élément fondamental dans le parcours de Vanellope), et Yesss, un algorithme issu du site fictif BuzzzTube.
Josie Trinidad, scénariste en chef, avait déclaré, à juste titre :
[The filmmakers] didn’t want to just give the audience more of that friendship — [people had] to see that relationship grow.
Et en effet, leur relation évolue, et d’une manière cohérente tout autant qu’elle est forte. Les deux traversent une phase de tort, Ralph mettant tout en œuvre pour conserver son amitié et les choses comme elles sont, sans prendre en compte le monde autour et le choix de vie de son amie, et Vanellope craignant tellement la réaction de Ralph vis-à-vis d’une décision qu’elle veut prendre qu’elle ne pense pas à lui en parler, mais aucun ne pense à mal et aucun n’est détestable, ils sont au contraire plus touchants que jamais, ils font des erreurs pour mieux apprendre.
Le tour de force est surligné par le fait que tous les événements du film aient un lien avec une action d’un des deux personnages. Ici, il n’y a pas de véritable menace pour les héros autre que leurs actions elles-mêmes, qui sont à l’origine de tout ce qui leur arrive durant leur virée. Ça a toujours un rapport avec leur comportement et ça montre à quel point ils sont les éléments capitaux. Sans trop en dire, le climax du film montre à quel point l’insécurité de Ralph vis-à-vis de son amitié avec Vanellope peut s’avérer destructrice, mais au final, tout le monde apprend quelque chose, et les deux personnages sortent grandis de l’expérience, et offrent un final d’une certaine force. Très beau traitement du sujet de l’amitié que nous offre ce film.
Et si Internet se contente d’être un décor, ça n’empêche pas l’équipe du film de se faire plaisir à lui donner vie, et le résultat est d’une créativité de tous les instants. Pratiquement tous les aspects d’Internet trouvent une façon inventive d’être retranscrits : les sites Internet (eBay façon vente aux enchères), la visite au sein d’Internet (les humains étant représentés par de petits avatars naviguant entre les sites), les spams publicitaires, les moteurs de recherche, les bloqueurs de pub, et même le Dark Web ! La créativité du film se renouvelle constamment et la richesse visuelle est sans véritable limite pour notre plus grand plaisir, et une fois encore, jamais ça ne fait de l’ombre à l’écriture intelligente de l’amitié entre Ralph et Vanellope.
Par ailleurs, le film est une perle d’humour. Rich Moore et Phil Johnston lancent un bon nombre de gags pour égayer le récit, et ça fait mouche plus d’une fois. Internet est un immense terrain de jeu possible pour les gags et les situations comiques en tout genre, et le film ne s’autorise le fan-service que pour une seule séquence au travers de la visite dans le site Oh My Disney, pleine d’easter eggs mais judicieusement courte, avec comme apothéose une scène terriblement drôle réunissant les princesses Disney, jouant habilement de l’auto-dérision sans partir dans la moquerie condescendante, le film rappelant que ce ne sont pas les princesses des films mais des caricatures volontairement exagérées. Le film est donc très drôle et ce n’est pas une surprise venant d’un film fait entre autres par des personnes ayant fait leurs armes chez Les Simpson.
"No one minds if you poke fun or satirize things if they know you’re coming from a place of loving those characters and honoring them. I think that’s always been our thing. The line we walk pretty well is making fun of things but it’s with love. We’d never want to hurt any of our characters because we love them." Phil Johnston
Les Mondes de Ralph était déjà une belle réussite, et Ralph 2.0 réussit pourtant à le surpasser. Non seulement cette suite est plus drôle, plus riche et plus aboutie, mais elle pousse encore plus loin l’aspect émotionnel qui émane de son duo principal, en optant pour une approche mature, intimiste et bien pensée jusqu'au bout. Rich Moore a réussi à montrer qu’il aime toujours autant ses personnages et qu’il tenait à leur donner plus qu’une suite, il tenait à leur donner la meilleure continuité possible. Mission accomplie.