Démêler les conflits d’héritage n’est pas chose aisée pour un despote aspirant à se retirer. Après une partie de chasse improvisé, le seigneur Hidetora annonce qu’il souhaite léguer son fief à son fils aîné Taro qu’il a marié à Kaede, la fille d’un clan rival qu’il à autrefois fait massacrer pour s’en attribuer le territoire. Pour ne pas léser ses autres enfants, il leur octroi chacun un château et leur demande de prêter allégeance à Taro tout en conservant son titre honorifique de daimyo. Mais son benjamin Saburo s’y oppose, prétextant qu’il ne croit pas en cette unité pour assumer la charge du domaine seigneuriale. Face à son insubordination Hidetora le banni de la famille. Bientôt Taro et Jiro se retourneront contre leur père, avant de se disputer la couronne de lauriers. Face à cette trahison, le vieil homme va perdre la raison et se retrouvera abandonné en compagnie de son bouffon. Mais Sanburo désormais allié au clan Fujimaki ne compte pas laisser son père errer comme une âme en peine dans la plaine et encore moins permettre à ses frères de s’en tirer à si bon compte. Récit d’une série de complots et de batailles qui plongeront l’ensemble du clan Ichimonji dans le chaos.
Ran est parcouru par le fatalisme d’un destin shakespearien et pour cause puisqu’il s’agit d’une libre adaptation du Roi Lear recontextualisé à l’ère du Japon féodal. Le rapport entre le pouvoir et la folie est clairement établi avec la présence d’un fou sage mais surtout d’un roi fou qui esquissera une forme de rédemption au gré de sa traversée de la vallée dans quelques rares moments de lucidité. Son basculement dans la démence interviendra à la suite d’un assaut mené conjointement par les armées de ses deux fils sur le château laissé vacant par Sanburo et dans lequel il espérait pouvoir couler une paisible retraite. C’est là qu’intervient le point culminant à mi chemin seulement de son chemin de croix, dans un silence de mort, quant les flèches se mettent à transpercer son entourage et à ravager tout le décor, laissant entrevoir son visage pétrifié d’effroi, se décomposant littéralement à la vision de ce cauchemar éveillé pour ne laisser que l’expression brisé d’un spectre descendant lentement les marches de sa déchéance. Le spectateur en sort lui-même abasourdi et sidéré par cette débauche de cruauté. Comme dans Le Château de l’Araignée, le vecteur de cette propagation malfaisante est une femme, en l’occurrence Dame Kaede, une victime de la prédation de Hidetora, devenue véritable mante religieuse n’aspirant qu’à la ruine absolu de tout le clan suite à la perte de toute sa famille.
C’est peu dire l’influence qu’à eu la peinture sur son réalisateur lors de son passage à la couleur avec les essais bariolés mais néanmoins bâtards de Dodes’Kaden, ou bien la fantastique fresque onirique de Kagemusha l’Ombre du Guerrier entre fascination et répulsion, et qui anime ici l’art de son long-métrage le plus abouti de sa carrière selon son propre aveux (et ce que tout le monde s’accorde d’ailleurs à dire). Ran signifie chaos, quant la création naît de la destruction tel un Picasso, ou bien plutôt un feu d’artifice fait de saccages et de combats violents, laissant derrière lui des flots de sang et des corps sans vie maculant le Mont Fuji. Chaque plan et composition renvoie à un tableau de maître, où l’homme se traîne entre le ciel et l’enfer à la limite du règne du mal et de la haine. Les couleurs des différentes factions renvoient autant à l’environnement (le soleil, le ciel, l’eau, les verts pâturages) qu’aux passions humaines, (rouge comme le sang et la colère, bleu symbole de la pureté ou bien le noir de la mort et du désespoir). En privilégiant les plans large, Akira Kurosawa semble vouloir rappeler à l’homme sa place dans l’univers à l’aune d’une tempête meurtrière s’abattant sur ce mont d’Eden aux atours de vénérable paradis. Pas de Boudha miséricordieux à l’horizon mais une apocalypse engendré par les penchants autodestructeurs de l’homme, se répétant inlassablement jusqu’au néant.
Tu veux ta dose de frissons et d’adrénaline pour Halloween ? Rends-toi sur l’Écran Barge où tu trouveras des critiques de films réellement horrifiques, situés à mi-chemin entre le fantasme et le cauchemar.