Rape and Death of a Housewife par Alligator
Je ne comprends pas l'édition DVD française. Je viens de voir un film de Chusei Sone plutôt moyen sorti chez Wild Side et ce très beau film de Noburu Tanaka n'est pas édité en France! Aberrant, scandaleux même! On marche sur la tête! C'est n'importe quoi!
Parce que ce film n'a qu'un défaut, son titre qui spoile sa fin, alors qu'on avait tout à gagner de découvrir le terme sanglant de cette histoire. En conclusion morbide d'une trajectoire désespérée, inconsciente d'une jeunesse perdue.
C'est un film noir par excellence. On a trois jeunes mecs paumés, des ados qui ont laissé tomber l'école pour des petits boulots. Ils vivent plus ou moins chez leurs parents, sont en conflit avec eux bien souvent. Ils ne pensent qu'à baiser, se pinter, trouver quelques rapines pour se payer du bon temps. Des losers patentés en somme, prêts à faire naufrage.
En sont-ils conscients? Compliqué d'y répondre. Ils livrent une bataille quotidienne pour l'oublier. Ils passent leur temps à fuir cette réalité. Ils se lient d'amitié avec un pêcheur un brin alcoolo. Mais un soir de beuverie, ils pètent un câble, violant sa femme. Pire, elle meurt étouffée sous leurs assauts.
Sur le papier, cette histoire peut ne représenter qu'un fait-divers sordide mais presque banal. Or, Noboru Tanaka en fait un récit déchirant, qui m'a fortement remué.
D'abord personne n'est montré du doigt. Pas même les jeunes. Ni leurs parents : tout le monde est dépassé, subit l'absurdité de cet univers étroit. Personne n'est dépeint comme un coupable moral. Ou disons qu'on nous montre les circonstances qui peuvent, sinon excuser, au moins expliquer cette tragédie. Les ados ne sont pas des assassins en puissance. Ils peuvent apparaître même presque sympathiques, rejetés par tout le monde.
C'est un Japon d'incompréhension. On est dans un monde entre ville et campagne, un entre-deux flou. On pêche, on cultive les champs, on fait des routes, on fait le taxi. Les liens entre générations sont coupés. Trop difficiles à maintenir.
Le pêcheur à qui au départ ils volent des œufs fait preuve de mansuétude. Très tolérant et patient, il leur ouvre les bras avec bonté. Il a bon fond, il veut croire que le reste du monde est comme lui.
Sa relation avec sa femme un peu simplette est tout en délicatesse. Leurs rapports ne sont pas décrits de façon caricaturale. Bien au contraire. Il y a une très jolie scène entre eux où, après lui avoir gueulé dessus parce qu'elle a laissé cramé le dîner en allant chercher des œufs, il présente ses excuses et explique avec beaucoup de tendresse sa colère, mais également sa crainte de l'avoir blessée par la véhémence de son ton. Les deux acteurs jouent cela avec grand talent. Noboru Tanaka, un cinéaste esthète, propose donc quelques jolis cadrages, mettant les comédien en valeur. La scène est d'une douceur incroyable.
Mais ce qui m'a évidemment scotché, ce sont les scènes après le meurtre, lorsque le mari découvre sa femme morte. Il la baigne, lui parle, lui fait l'amour, la chérit encore, semblant sombrer dans la folie. Sans qu'on ne saisisse nettement l'étendue de cette folie. Toujours délicatement, on suit cet effondrement. Le comédien Hideo Murota est tout simplement époustouflant. C'est très très bien joué, j'en suis encore tout chose.
La mise en scène est géniale, d'une beauté rare. Surtout Tanaka parvient à créer une atmosphère avec des riens. Pas d’esbroufe, d'effets de caméra, de lumières particulières. Le temps est comme suspendu. Il n'y a que l'atroce regard perdu de cet homme, qui se refuse à voir sa femme partie. Il ne nie pas pour autant qu'elle soit morte. Il veut juste être absolument avec elle, encore quelques heures, lui parler, la toucher, la dorloter, lui dire son amour, la voir, encore un peu. A partir du moment où elle n'est plus là, il est comme mort lui aussi. Vous imaginez bien comment il doit être difficile de ne pas rendre tout cela lourd, trop pathétique, ni trop visuellement esthétisant.
Tanaka réussit sans taper l’œil à maîtriser son histoire, ses comédiens, ses plans et à maintenir le spectateur dans son film, à lui serrer le cœur sans l'écraser. J'avais déjà été frappé par le talent de ce cinéaste, notamment sur le sublime "Marché sexuel des jeunes filles" (titre là aussi hautement pénalisant, et qui n'est pas non plus édité...) et ce film est une nouvelle fois très impressionnant. Voilà un nouveau mélodrame de Noboru Tanaka qui se niche au cœur d'un pinku eiga et dont l'édition française me parait indispensable.