En 2020, Disney, c’est une maîtrise de l’animation 3D avec de l’avance, parfois des fulgurances artistiques, et souvent des univers hauts-en-couleurs qui laissent rêveur… Pas mal d’éléments hérités d’années d’expertise et dont Raya et le Dernier Dragon profite lors de certaines séquences visuellement réussies.
Mais en 2020, Disney, c’est aussi une écriture devenue terriblement fainéante et assez peu digne de productions de ce calibre. Et hélas sur ce point, Raya écope d’un script en roue libre, son défaut le plus notable. C’est sur cette question que ma critique va se concentrer : pourquoi est-ce si mal écrit ?
Show, don’t tell
Quiconque s’intéresse un brin à l’écriture n’ignore sans doute pas cette règle assez célèbre en littérature : « show, don’t tell. » En substance : « montre ! ne raconte pas. » Pour que le lecteur s’imprègne du récit, épargnez-lui les descriptions abstraites et faites-le lui vivre par l’action. Ne dites pas que Jean est en colère. Montrez-le. Jean traverse la pièce à grand pas puis claque la porte derrière lui.
Alors même si, de prime abord, le support audiovisuel semble encourager le show, don’t tell puisque l’action est à l’écran, gardons cette règle en tête et prenons cinq minutes pour analyser deux scènes d’ouverture de films Disney : la première issue du Tarzan de 1999, et sans conteste l’une des plus réussies du studio à ce jour ; et bien évidemment, celle de Raya et le Dernier Dragon qui nous intéresse ici. Ok pour le visionnage ? Bon, les deux séquences paraissent plutôt claires et présentent bien le contexte. Mais laquelle est la plus puissante ? mémorable ? laquelle permet le mieux de plonger le spectateur dans son récit ? Enfin, quelle séquence montre ? et quelle séquence raconte ?
Dans Tarzan, on a des jeux de regard, de la peur et de la tristesse qui se lisent sur les visages, on a une mise en scène intelligente mettant en évidence la symétrie des deux familles, puis la menace et la sauvagerie du léopard illustrée en quelques plans, sans oublier la musique qui souligne les événements et leur donne de l’ampleur… On a compris le contexte. Les personnages n’ont pourtant pas encore ouvert la bouche, mais on est en empathie avec eux.
Du côté de Raya, on a une héroïne qui brise d’emblée le quatrième mur et s’improvise narratrice pour la seule et unique fois du film, s’adressant spontanément au spectateur — au moins, dans Hercule, Disney avait eu l’intelligence de créer des personnages dont la fonction était narrative, les Muses, déesses des Arts, ce qui faisait sens. Raya nous détaille la cosmogonie de son univers avec un conte des origines auquel on accorde une attention distraite malgré les illustrations qui défilent à l’écran. C’est beau, mais aucune émotion ne passe. On écoute, mais on n’est pas encore vraiment engagé dans ce récit. Alors ce n’est pas dramatique en soi, démarrer un long-métrage par un récit des origines, d’autres l’ont fait avant Raya. Là où ça coince, c’est que le film ne quittera jamais vraiment son écriture trop bavarde.
Si on déroule le film un peu plus loin, l’histoire débute et après un petit duel entre l’héroïne et son père, ce dernier nous ressert une ligne de dialogue assez grossière : « voici la Pierre du Dragon, Raya. Notre famille la protège de génération en génération depuis cinq cents ans. » Comme si elle ne le savait pas, tiens ! En réalité, on s’adresse encore au spectateur. Attendez deux minutes de plus et boum ! le film décide qu’il est temps de vous expliquer un peu les différentes tribus qui peuplent le monde de Kumandra. Eh bien c’est parti : « que sais-tu vraiment des autres tribus, Raya ? » L’occasion idéale qu’attendait la fillette pour se lancer dans un nouvel exposé de présentation façon PowerPoint.
Vous voyez le problème ? Raya et le Dernier Dragon nous noie dans des scènes d’exposition qui manquent cruellement de subtilité, et passe son temps à raconter son histoire à travers des dialogues surexplicatifs et artificiels qui, peut-être sans le vouloir, prennent les enfants pour de véritables buses. À travers ses personnages, Raya ne cesse de commenter son récit — et sans grande finesse — plutôt que de nous montrer et nous faire vivre les événements. Peut-on s’émouvoir de la pétrification du chef du village lorsque tous ces dialogues artificiels ont entravé la mise en place d’une complicité père-fille ? Peut-on s’offusquer de la trahison de Namaari lorsque les deux jeunes filles se connaissent depuis une heure à peine et que leur court dialogue n’a servi qu’à nous expliquer la grandeur de Sisu ? Quand le récit s’adresse constamment au spectateur, même en tentant maladroitement de le déguiser, ça ne peut pas fonctionner.
Bref, show, don’t tell.
Les nœuds dramatiques
Malheureusement, les lacunes d’écriture de l’œuvre ne se limitent pas à cet ennuyeux prologue et on constatera bien vite que la suite du film est tout autant marquée par la fainéantise. En premier lieu, la faute à une narration incroyablement linéaire qui ne surprend pas et s’enlise rapidement dans la monotonie.
Là encore, il peut être utile de revenir à quelques notions d’écriture pour comprendre d’où vient le problème. En l’occurrence : les nœuds dramatiques. Pour faire court, ce sont les moments clés de l’histoire qui vont faire rebondir l’action. L’élément déclencheur et le climax, par exemple, sont des nœuds dramatiques majeurs et bien connus qui encadrent le récit, respectivement au début après l’exposition, et à la fin avant la résolution. Entre les deux, durant les péripéties, on fait appel à des nœuds dramatiques secondaires ou mineurs, tout type d’événement susceptible de dérouter l’histoire du chemin initialement tracé ou de faire grimper l'intensité dramatique. Il peut s’agir d’une révélation décisive ou d’un obstacle infranchissable ; — Dans Frère des ours, c’est au milieu de l’histoire que l’ourson Koda révèle son passé au personnage principal, ce dernier comprend instantanément le rôle tragique qu’il y a joué ; pourront-ils rester amis ou vont-ils se déchirer ? l’intensité dramatique augmente — le but étant de bousculer une situation, relancer l’action et, possiblement, surprendre le spectateur.
Le problème avec Raya, c’est qu’il n’y a pas de nœud dramatique secondaire. Sa quête, c’est de récupérer les cinq fragments de la Pierre du Dragon. Eh bien, n’attendez pas de sortie de route, il n’y en a pas — Allez, ne soyons pas mauvaise langue et accordons-lui un N.D juste à la fin avant le climax, mais pour ceux qui ont vu le film, qui y a vraiment cru ? En réalité, sur l’ensemble du développement, on suit le tracé initial sans encombre (à quelques obstacles près quand même, ouf!), mais rien ne va venir redéfinir l’objectif de l’héroïne, les enjeux ou la situation. Fatalement, on ne sera jamais surpris par la tournure des événements et le schéma va rester le même jusqu’à la fin : se rendre dans une nouvelle région, récupérer le fragment, puis rebelotte.
Dans son développement, Raya s’apparentera donc à une simple suite de péripéties menant vers un objectif toujours inchangé. Dès lors, la narration s’apparente à une longue pente descendante, bien droite et bien lisse qui nous amènera au final tant attendu.
Au cœur du consensuel
Enfin — et c’est peut-être ce qui m’est le plus pénible — l’inconsistance de Raya et le Dernier Dragon ne touche pas qu’aux aspects purement techniques de l’écriture, mais viendra contaminer le ton même de l’œuvre.
En 2020, Disney refuse catégoriquement de heurter le spectateur. Par heurter, je n’entends pas blesser ou offusquer, simplement l’émouvoir un brin, bouger quelque chose ou questionner ses certitudes.
Non, on est entré dans une phase à ce point consensuelle qu’on ne s’emmerde même plus à écrire des méchants qui se respectent. Ici, le Drone est une entité sortie de nulle part, sans conscience ni objectif, mi-cumulonimbus mi-grotadmorv qui transforme les gens en caillasse parce que voilà (faudrait pas qu’ils meurent non plus ! un retour en arrière doit être envisageable). Quelle aubaine car au fond, qui dit méchant sans conscience, dit méchant sans cruauté, sans vilenie, méchant pas vraiment méchant finalement, davantage une forme de fatalité à combattre.
On ne s’embête pas davantage avec la cohérence de l’univers. Les personnages nous envoient des postures et autres lignes de dialogue complètement anachroniques comptant ainsi flatter la jeunesse qui pourra y voir leurs nouvelles idoles. Pas plus de cohérence côté folklore de l’œuvre, tandis qu’on nous raconte que la Pierre du Dragon est parvenue à dépétrifier les humains par le passé, mais pas les dragons. Étonnamment, lors du final, la pierre décide que cette fois, tout le monde reviendra à la vie. Pourquoi ? mystère total. C’était juste plus pratique comme ça.
À côté de ça, on a une morale sur la confiance, pas nécessairement malvenue, mais martelée au pilon sur toute la longueur du film. Un manque flagrant de tension dramatique et de surprise tant on a saisi la frilosité du studio à créer des scènes radicales. Qui a douté de la réussite de Raya à quelque moment que ce soit? Qui a cru à la mort définitive de Sisu ? Qui n’a pas vu venir la rédemption finale du clan du Croc ?
Alors c’est un Disney, direz-vous, les gentils gagnent et les méchants perdent. D’accord. Notons malgré tout qu’on parle d’un studio qui est resté maitre dans l’art du storytelling durant des années. Avec un film comme celui-ci, on ne peut que regarder en arrière et songer qu’il accuse désormais un sérieux retard sur la concurrence. Rappelons-nous deux secondes de la mort de Mufasa du Roi Lion, de la séquence des Sauvages de Pocahontas, de la scène d’adieu entre le renard et la fermière dans Rox et Rouky, et j’en passe… Tant de séquences brillantes par leur pic émotionnel, leur mise en scène ou leur écriture. Y en a-t-il une dans Raya — ou plus largement dans tout autre Disney récent — qui leur arrive à la cheville ?
Conclusion
En 2020, fort de son succès, de la bienveillance que le public conserve à son égard et de l’héritage sur lequel il se repose, Disney n’a plus de grandes ambitions et se contente d’une écriture qu’on peut raisonnablement qualifier d’amateure. Pauvre, en roue libre, sans fulgurance, ni originalité, ni surprise.
Alors je comprends qu'on soit séduit par la proposition graphique ou encore l'univers exotique peuplé de dragons et de magie. Raya n’est pas non plus une catastrophe ambulante, ni un amoncellement de bêtises comme l’a été la récente adaptation live de Mulan. Je m’en tiens donc à une note moyenne même si je ne mentionne pas les quelques points positifs que d’autres ont évoqué mieux que je ne le ferais. Mais on ne peut décidément plus se satisfaire d’un tel traitement du récit, si lisse, par-dessus la jambe, et — comme je l'ai lu assez justement dans une autre critique — « trop enfantin, même pour des enfants. »
Nous ne sommes pas des crétins, et les enfants ne le sont pas davantage. Vivement un retour à des films qui osent, comme certains ont pu le faire par le passé. Un retour à des films capables d’émouvoir aux larmes. Parce qu’autant dire qu’avec ses ficelles grossières et ses dialogues pas très heureux, Raya peine à bouger quelque chose en nous et ne sera hélas pas de ceux dont on garde un souvenir durable.