On tient là un blockbuster digne de Spielberg dont on se souviendra longtemps, d'autant qu'il arrive plus ou moins à faire la part entre les références pop passées et présentes, tout en faisant une hypothèse sur l'avenir du jeu vidéo (avec la VR des années 2040, aujourd'hui seulement en voie de développement), rendant le tout à la fois daté, contemporain et intemporel.
Pour autant, c'est vrai qu'il avait des défauts qui ont failli tuer le film :
- La surabondance de références fait que, parfois, ces dernières sont
expédiées trop vite ou semblent n'être là que par (dés)espoir
d'attirer l'attention des jeunes. Mais on devine plutôt l'envie du
réalisateur de ne pas être inondé de procès (mais d'autres références sont plutôt bien utilisées)
- Il y aussi cette tendance à vouloir faire des joueurs des vrais
héros ou des résistants face aux grandes méchantes compagnies du jeu
vidéo, à un point où s'en est caricatural ou cliché. Même si les
gamers ne sont pas la lie de l'humanité (étant donné que j'en suis un
moi-même et que tout le monde joue), faut pas confondre VR
(Virtual Reality) avec Véritable Résistance.
- Le film a un drôle de message à nous donner, semblant hésiter entre
"respecter les autres et les règles" et "sortez le nez de vos écrans"
(surtout quand Hallyday et Wade disent que "le point le plus
important de la réalité... c'est que c'est réel...") ... Ouais ben
merci, Captain Constat, on sait, duh ! On voit où Spielberg veut en venir, mais ça aurait pu être mieux dit.
- Hallyday est d'ailleurs un drôle de modèle de gamer : bien
qu'entrepreneur génial et philanthrope, il est cependant timide et à
l'oral lent, en plus de redouter de parler aux femmes. Il est à la
fois apologie et cliché du vieux gamer (le film est plus sympa et touchant avec lui à la fin).
- Après, le dernier défaut concerne les motivations des méchants et
l'univers de l'Ohio des années 2040 (vite fait, et ça ne détruit pas
le film) :
Comment ça se fait que IOI peut attaquer les gens chez eux, les kidnapper et les séquestrer pour qu'ils jouent afin de payer leurs dettes sans que la police n'intervienne ?! Sérieux, ils ont fait ça plusieurs fois et rien n'a été tenté contre eux, mais dès qu'ils font exploser un quartier et tentent de tuer des gens, ça y est la police se décide enfin à se bouger ! Quelle genre de police est-ce là ?!!
Et d'ailleurs, comment ça se fait que Nolan ne se soit pas fait lyncher par la foule comme Homer après avoir écrasé Adoré dans Le Jour du Fléau (même si Nolan est un pourri armé, et Homer un type poussé à bout par un gosse détestable) ?
Mais bon, ce point se défend du fait que la société des années 2030-2040 est en crise et où les gouvernants ne veulent plus aider leurs concitoyens (en plus, on a des scènes où des types jouent pendant leur temps de travail, c'est à se demander comment l'économie "traditionnelle" peut-elle encore fonctionner dans un monde où la VR a presque pris le pouvoir).
Y a même des gamers qui jouent à la VR de l'Oasis dans la rue sans rencontrer d'obstacle ni se faire écraser, c'est possible ça ?
Cependant, malgré cela, le film reste assez bien exécuté et plaisant pour parler à trois générations en même temps (celles de 1979 à aujourd'hui), ce grâce de multiples points forts :
- Ce film arrive à imaginer le jeu vidéo VR parfait avec l'Oasis : mélange de FPS, de MMORPG, de jeu de fantasy (à cause de la quête des trois clés), de jeu en ligne, de jeu de course, avec des graphismes saisissants et de mods (bon, c'est sûr on sait qu'on est dans de la VR), avec des pièges, des épreuves, des artefacts, etc. Quand on vous dit que Oasis is good !
- Par contre pour la musique, on est plus dans la new wave et la pop metal des années 80. Il faut avoir un minimum de culture pour reconnaître certaines chansons sans vérifier les références pendant les crédits de fin. Pour ma part, bien que né en 1991, j'ai reconnu Blue Monday lors de la scène de la discothèque, One Way Or Another de Blondie, Jump de Van Halen, etc.
- Pour les costumes, c'est un peu plus large : on va des années 80 (avec Duran Duran, Mickael Jackson, Prince, Buckaroo Banzaï) à du Tron avec les costumes des sbires de IOI et les accoutrements VR.
- Bien sûr, l'Oasis regorge de références à la pop culture (je vous conseille d'ailleurs la liste de Samu-L à ce sujet) : King Kong, Godzilla, Overwatch, Retour vers le Futur, Gundam, World of Warcraft et même la Holy Hand Grenade des Monty Python, etc.
- Mais mon passage préféré est celui dont la référence est le mieux exploité :
Il s'agit d'une virée au sein du film Shining de Stanley Kubrick, d'autant plus touchant quand on sait que Kubrick et Spielberg étaient potes. Si, bien sûr, certaines parties sont édulcorées, d'autres en revanche arrivent à passer la censure (notamment les hectolitres de sang sortant de l'ascenseur, ou des fantômes-zombies sortant leurs yeux de leur orbites). Nos héros trouvent la clé de jade au milieu de morts-vivants dansant dans l'hôtel du film référencé.
- Pour ce qui est des héros, même si on a un peu de mal à s'identifier à Wade et Samantha au début (puisqu'ils sont aussi "attrayants" que leurs avatars, ça marche mieux quand la véritable identité de ses potes est révélée, reflétant mieux la diversité au sein des joueurs (même si le joueur asiatique qui sait forcément faire du karaté peut faire un peu cliché, le voir défoncer les méchants aussi bien dans l'Oasis que dans la réalité est plaisant).
- Pour ce qui est des méchants, ça reste aussi assez bien nuancé : IOI est présenté comme une sorte de mix entre les "maléfiques majors" du jeu vidéo (EA, Konami, etc.) ;
- Nolan est l'équivalent de la compagnie qui veut inonder le jeu
vidéo de procédés scandaleux comme l'invasion publicitaire, la
surtaxation, la surexploitation de sbires, ou le non-respect des lois
et de la morale. Cependant, même lui se fixe des limites telles que ne pas tuer son adversaire (bien qu'il se permet de violer des règles de jeu et de lois). On dirait un type pour qui la VR n'est qu'un moyen de puissance, puis il semble être un gamer avoir du respect pour Wade ;
Il refuse de tuer Wade quand bien même il obtient les 3 clés, le contrôle de l'Oasis et l'Easter Egg doré. Trois hypothèses possibles : il se dit qu'il a déjà détruit son entreprise à force d'obstination et que ça n'en vaut plus la peine ; il se rend compte qu'il a déjà perdu ; ou bien il voit qu'il a tenté de détruire la vie d'un gamer qui n'avait rien d'autre que la passion du jeu, alors que lui avait déjà tout en comparaison quand bien même il s'agit de l'Oasis.
- L'assistante de Nolan, bien que cliché de l'officier très-très méchant, n'hésite pas à critiquer ouvertement son patron, disant qu'il peut gérer certaines choses lui-même et qu'il a aussi des responsabilités (Nolan n'a pas de mot de passe sécurisé par exemple).
- Les sbires, bien que geeks passionnés au service d'un patron épouvantable, finissent par retourner leur veste par amour du jeu et par respect par Wade. Ce, également parce qu'on se rend compte que Nolan est un patron peu recommandable et un peu ingrat.
- J'ai aussi aimé malgré tout les scènes de fin avec Hallyday et Adventure sur Atari 2600, bien qu'ayant des allures de deus ex machina. On voit que Spielberg a une façon plus ou moins personnelle ou spéciale de défendre le jeu vidéo, étant donné qu'il aurait pu choisir quelque chose de plus connu, mais il a choisi de rendre hommage au créateur du tout premier easter egg.
Il fait ainsi de Ready Player One un trésor doré, ainsi que l'un des meilleurs films sur les jeux vidéos, arrivant là où Pixels avait échoué tout en reprenant Les Mondes de Ralph et même Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ; il a compris que les spectateurs et les gamers ne sont pas que des consommateurs-bétails, mais qu'ils ont aussi du plaisir et de la passion dans ce qu'ils font, et doivent être respecter dans leur dignité humaine et dans leur recherche du bonheur.
Bref, on voit qu'il maîtrise assez bien ses références, qu'il les comprend, qu'il y est attaché et qu'il n'a pas méprisé son public. Ça peut paraître maladroit ou forcé par moments, mais il a fait un effort qui mérite d'être salué et visionné.