Qui de mieux que Steven Spielberg lui-même pour réaliser un film Spielberg ? Les premières images nous avaient déjà annoncé la couleur, et cela s’est confirmé au visionnage. Par un autre réalisateur, on aurait presque pu croire à une lettre d’amour si ce n’était pas adapté d’un roman. La vérité, c’est que cette adaptation a su changer de support et embrasser la pop culture sous toutes ses formes, tout en ne perdant pas de vue le cœur même du récit, à savoir une aventure vécue par des enfants perdus. Et Spielberg reste indéniablement le meilleur conteur du genre, et c’est pour ça que le film fonctionne si bien. Parce qu’il nous parle à tout âge, qu’il fait vibrer notre fibre nostalgique, qu’il transmet de beaux messages tout en ne prétendant pas être super intellectuel. On est là pour passer un bon moment, et on passe un bon moment.
Donc oui, on retrouve une histoire de base terriblement simple, presque caricaturale d’un film de Spielberg des années 80-90, qu’on en vient même à se demander si l’atmosphère et l’ambiance créées ne sont pas des clins d’œil en eux-mêmes. Car oui, on le savait là aussi, le film regorge de clin d’œil et de références de toute part, à un point qu’il est impossible de les voir toutes du premier coup. Et pourtant, il n’y a pas forcément besoin de porter vraiment attention aux détails, on ne sort pas du rythme de l’intrigue pour se dire « bon, où est la référence ici ». Tout est fluide et s’intègre parfaitement. Parfois c’est fugace, parfois ça nous décroche un petit sourire ou un ravissement quand on la repère au détour d’une image, et parfois ça nous fait baver, parce qu’on la sent venir et qu’il est exploité jusqu’au bout. Je pense notamment à cette seconde épreuve où, quand on connait Spielberg, ses inspirations et ses amitiés, on sait qu’il a pris un énorme plaisir à la réaliser. Je disais un peu plus haut que tous les aspects de la pop culture sont présents, et c’est vrai : on aura des références cinématographiques, musicales, littéraires, liées aux jeux vidéo, aux séries, aux comicbooks… Absolument tout.
Donc oui, ce film, c’est un peu le paradis de la pop culture (oserons-nous dire des geeks ?), mais c’est aussi une madeleine de Proust qui fonctionne à merveille. Sans tomber dans la surenchère et sans non plus n’y aller qu’à moitié. Mais au final, ce que j’ai préféré dans ce film, c’est bien son histoire. Comme je le disais, on y retrouve énormément d’influence de films réalisés et produits par Spielberg, à un point que certains passages, certaines scènes, sont des clichés complètement assumés (cf la dernière scène), et pourtant je me suis régalé. Parce que l’histoire est une histoire d’anticipation, et comme toute bonne histoire du genre, elle dresse un portrait magnifique de notre société en utilisant le prisme d’une technologie. Ici, la toute nouvelle réalité virtuelle, mais qui permet de traiter des thèmes comme l’addiction, la vie virtuelle, les dangers qu’on peut y trouver, comment cela nous affecte, comment les jeux en ligne ou les réseaux sociaux influencent notre rapport aux personnes mais aussi influences notre « IRL », l’utilisation de nos données par des corporations, l’idéalisme numérique… C’est juste, c’est percutant, et ça nous fait grandement réfléchir sur notre société. Et j’ai adoré.
D’autant plus que le film aborde une approche très intéressante, parce qu’il dépeint un futur proche dystopique duquel les gens s’échappent dans un univers virtuel utopique que les « méchants » pervertissent à leur tour, et dans lequel les gens apprennent que le bonheur ne s’y trouve pas, mais bien dans leur univers réel. Un bouclage de boucle dont le message est extrêmement puissant. Et là où plusieurs films auraient joué sur notre perception de la réalité, Spielberg prend très vite le parti de distinguer les deux sans pour autant nous dire qu’un l’un ou l’autre soit mal, et c’est une démarche intelligente.
Concernant le casting, je n’ai pas grand-chose à reprocher. Tye Sheridan porte très bien le film, aussi bien dans l’univers réel que dans l’OASIS, et Olivia Cooke a un rôle non pas de support mais bien tout aussi principal, voire même de leader. La dynamique entre les deux fonctionnent plutôt bien. Mark Rylance et Simon Pegg restent dans leur style habituel, même si j’ai bien aimé le côté un peu malicieux/espiègle de Pegg. Lena Waithe, Philip Zhao et Win Morisaki apportent un soutien correct, faisant là aussi beaucoup penser à d’autres films de Spielberg (en tant que genre). T.J. Miller était sympa aussi, mais c’était plus en rapport avec son personnage qu’à sa performance capture. Et puis Ben Mendelsohn reste fidèle à lui-même, y compris dans un rôle de vilain hyper-caricatural et unidimensionnel, mais voilà, sa voix, sa présence, son regard, font que ça fonctionne toujours aussi bien.
Techniquement, le film est une petite merveille. La musique d’Alan Silvestri fonctionne globalement très bien, reprenant de temps en temps certains thèmes bien connus. Associé avec la bande son, le tout forme un univers sonore cohérent et immersif participant à créer cette atmosphère si particulière au film. Les effets spéciaux sont quant à eux superbes, dans le sens où comment ils ont été exploités. Ce que j’entends par là, c’est que oui, les CGI font très CGI, mais je trouve ça justement parfait pour le côté immersif dans un jeu vidéo de réalité virtuelle. Cela tranche avec l’univers réel, en prise de vue réelles (et pratiquement sans CGI, qu’en effets spéciaux pratiques) ; et cela participe donc à créer cette dichotomie entre les deux qui est au cœur de l’histoire. Pareil avec les décors d’ailleurs, que ce soit les lieux riches et fourmillant de détails de l’OASIS, ou ceux uniformes et ternes de l’univers réels. Et ça se ressentira aussi avec la mise en scène, l’OASIS se montrant plus fluide, gracieux, souple que l’univers réel, plus abrupt, rude. Ce qui rend d’ailleurs la deuxième épreuve d’autant plus savoureuse. Spielberg se régale et ça fait plaisir.
Ready Player One est un film fantastique. Pas forcément le meilleur de Spielberg, mais un de ses plus réussi dans ce qu’il essaye de faire. Et sans doute l’un de ceux sur lequel je reprendrai le plus de plaisir de revenir encore, encore et encore. C’est avec ce genre de films que je réalise à quel point j’adore ce réalisateur et à quel point il a été important dans mon ouverture au cinéma et à la pop culture. Le livre vient de s’ajouter sur mon étagère, mais clairement, Spielberg était le seul à pouvoir réaliser ce film.